Arts et Cultures
QUESTION
SUR L'HOMME
"La théologie
n'a pas de discours tout fait sur l'homme. Sa matrice génératrice, sa figure
est celle de Jésus Christ: un symbole paradoxal car on ne le connaît pas, il
est à venir; et il joue de façon non réductible sur le divin et
l'humain. Nous croyons que cette figure travaille profondément l'histoire,
comme une onde qui la parcourt. Et sur les deux axes:
° Celui du divin:
tenir Dieu et l'homme dans une même figure arrache des représentations
archaïques, même si elles sont récurrentes… comme celle de la toute-puissance
de Dieu; de même, l'indifférence religieuse actuelle est elle-même un 'xairos',
elle travaille l'archaïsme du religieux.
° Celui de l'humain:
l'humain est inséparable de son caractère divin, on n'a pas fini de créer le
divin de l'homme, de 'laisser venir' cette nouvelle figure tout en la
travaillant.
La théologie n'est pas un travail sur un discours à répéter, mais sur une
figure qui travaille l'humanité dans l'histoire et dont nous ne savons pas ce
qu'elle va produire.
Qu'advient-il de l'art et de la
théologie aujourd'hui?
Une question incontournable désormais est celle de l'altérité. Sa première
forme est celle de l'altérité religieuse, inséparable de l'altérité culturelle.
La théologie chrétienne doit penser dans l'altérité. Cette altérité contrecarre
des discours comme celui de la tolérance ou de l'intégration, qui sont un
simple modus vivendi mais non porteurs d'une rencontre; ils ne ré éprouvent pas
ce que l'on porte. L'altérité est le lieu de la blessure de notre culture, de
notre civilisation, incapable de penser l'autre pour lui-même (cf. le Juif, les
hommes du Nouveau Monde…), et pas seulement dans le passé (cf. la nouvelle
hégémonie de la mondialisation/ 'mondialatinisation' qui réduirait la
particularité). Penser la théologie dans l'altérité est notre contribution à la
naissance de l'homme.
Ce travail-là est un combat de tous les jours. "C'est par une nuit obscure
que je suis sorti, sans être vu…"
Notre intuition est qu'artistes et théologiens contribuent,
chacun à leur place, à ‘l'inédit de 'l'homme'. L'inédit de l'homme, sans cesse
en devenir et toujours énigmatique, constitue le "lieu" qui nous est
commun à tous: il fonde la possibilité et l'intérêt d'un dialogue. Qui plus est
dans le contexte de rupture de civilisation induit par la grande barbarie du
XXe siècle, et à l'heure des brassages de la mondialisation.
« Loin que le Christ me soit inintelligible s’il est Dieu,
C’est Dieu qui m’est étrange s’il n’est pas le Christ »
Joseph
Malègue, cité par le Pape François
Le Christ ressuscité
remplit tout l’univers (Ephésiens 1, 22-23). Il est l’Alpha et Omega, le «
terme de l’histoire humaine ». « L’Esprit de Dieu, nous dit Gaudium et Spes,
dirige le cours du temps et renouvelle la face de la terre » (§27). C’est la
portée cosmique de la résurrection et du don de l’Esprit. Le monde, et chaque
être humain, est habité par Dieu. Ni le Royaume ni l’Esprit de Jésus
n’appartiennent donc en propre à l’Église (15).
Cela change le statut du
« monde » et contribue à un regard nouveau sur ses habitants, à un regard
nouveau sur leurs cultures. La communauté croyante est désormais invitée à lire
« les signes des temps », à discerner l’action de l’Esprit partout présent, à
reconnaître les traces, les indices de la présence du Christ, les semences de
vérité, dans le monde d’aujourd’hui. La mission de l’Eglise est de l’ordre du
témoignage rendu au Dieu vivant et libérateur, et à l’Esprit du Christ qui
habite le cœur de tout homme. C’est un renversement de perspective. L’autre à
évangéliser est habité par l’Esprit du Père et du Fils. L’autre, tout autre,
infidèle ou païen, est donc infiniment respectable. Dans la déclaration sur la
liberté religieuse (§1, §2, §9), le Concile a de très belles pages sur la
dignité de la personne, fondement de son droit à la liberté religieuse. Cette
reconnaissance de la liberté humaine a encore été soulignée dans l’encyclique
Redemptoris Missio : « L’Eglise s’adresse à l’homme dans l’entier respect de sa
liberté : la mission ne restreint pas la liberté mais elle la favorise.
L’Eglise propose, elle n’impose rien : elle respecte les personnes et les
cultures, et elle s’arrête devant l’autel de la conscience » (n°39).
« Désormais, l’Eglise ne
rejette pas le monde, comme elle avait été tentée de la faire pendant des
siècles, mais considère que ‘rien de ce qui est humain ne lui est étranger’, en
reconnaissant d’ailleurs qu’elle n’est pas seule dépositaire de la vérité »
(16) :
Puisque le Christ est
mort pour tous et que la vocation dernière de l’homme est réellement unique, à
savoir divine, nous devons tenir que l’Esprit saint offre à tous d’une façon
que Dieu connaît, la possibilité d’être associé au mystère pascal (Constitution
conciliaire l’Eglise dans le monde de ce temps §22)
Texte composé par
Philippe LE VALLOIS
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15 Cela libère l’Eglise
et les chrétiens de tout exclusivisme et d’une systématisation du christianisme.
16 Marie-Christine
HAZAËL-MASSIEUX, Les Pères de l’Eglise au Concile, in Chemins de Dialogue 44,
décembre 2014, p.231
Évêque de Nysse en Cappadoce (dans l'actuelle Turquie) au
IVe siècle, Grégoire fut éduqué dans la culture grecque, mais sa pensée
sur l'homme et la création se démarque de celle des stoïciens. Pour l'auteur du
traité
1er juin 2015
L’Homme en communion avec le Créateur
Hildegarde de Bingen (1098-1179)
« La
Création est une symphonie de l’Esprit »
Au temps des croisades, une
femme exceptionnelle témoigne avec éclat de la sagesse héritée de l'Antiquité
chrétienne: le monde est un cosmos harmonieux, l'homme en est le centre et il
peut le garder dans cet équilibre, dans la mesure où il vit et agit en
communion avec le Créateur. Cette femme, sainte Hildegarde de Bingen
(1098-1179), est une moniale bénédictine allemande. Dès l'enfance, elle
bénéficie de communications de la « lumière vivante » qui lui font
voir toutes choses unifiées. Elle ne se contente pas de contempler. Les
monastères sont encore, à cette époque, les hauts lieux de la connaissance.
Elle écrit. Son Livre des
subtilités des créatures divines traite
de centaines d'espèces de plantes et d'animaux, de minéraux. Elle rédige des
traités de médecine « pour
rendre les hommes attentifs aux moyens de guérison que Dieu a placés dans la
nature ». Ils doivent être soignés corps et âme, affirme l'abbesse, et
c'est dans leur propre sagesse, leur modération, qu'ils trouveront souvent la
guérison. Elle prêche. Elle est écoutée dans toute l'Europe du Nord, intervient
dans les affaires de l'empereur Frédéric Barberousse et admoneste à l'occasion
les grands de l'Église. Le pape Benoît XVI lui a donné le titre de Docteur
de l'Église.
2 juin 2015
À lire : Hildegarde
de Bingen : corps et âme en Dieu d'Audrey
Fella, Collection Points Sagesses, 128 p., 7€.