Quel est le Jésus de Küng?

« Le Christ des chrétiens est une personne tout à fait concrète, humaine, historique: le Christ des chrétiens n’est personne d’autre que Jésus de Nazareth. » 24

Il est une « personne historique concrète » qui possède « un côté provocant » 268, une « force de persuasion » 269, une « capacité à réaliser » 270, bref qui « fait autorité » 272.

Comment Küng construit-il son Jésus?

Malgré le fait qu’il ne propose aucune citation biblique, Küng construit son Jésus à partir des évangiles, « des témoignages de foi engagés et engageants », qui voient Jésus « avec les yeux de la foi » 36. Il organise son livre en six grands chapitres.

  1. À partir des « coordonnées sociales » de l’époque de Jésus, Küng dégage l’originalité du personnage. Jésus est un juif du premier siècle qui s’oppose tant à « l’establishment » (Jésus n’est pas un prêtre, ni un théologien; il n’est ni « l’homme de l’établissement ecclésiastique ou social » 40, ni un « membre ni sympathisant du parti au pouvoir, conservateur ou libéral » 43), qu’à la révolution (Jésus n’est pas « un guérillero, un putschiste, un agitateur politique » 54; il « annonce le règne illimité et direct de Dieu lui-même sur le monde, un règne déjà normatif maintenant mais établi sans violence » 55), qu’à l’ascèse (« Jésus ne vit pas à l’écart du monde » 68; il « n’a pas une conception dualiste du réel » 69; il n’a « aucune organisation hiérarchisée » 72; il « ne propose [pas] une règle religieuse » 73). Il s’oppose même au compromis entre ces différentes tendances: « Jésus n’a pas été un moraliste pieux et fidèle à la Loi » 85, il ne pratique pas le « jeûne ascétique » 86, il ne craint pas le sabbat, il refuse que le péché soit édulcoré par la casuistique ou l’idée de mérite 91.
  2. Jésus défend « la cause de Dieu ». Il annonce et apporte le royaume de Dieu, un royaume « dont seules des images peuvent donner l’idée », mais « un royaume de justice totale, de liberté sans pareille, d’amour ininterrompu, de réconciliation universelle, de paix éternelle », bref « le temps du salut » 99.
  3. En même temps, Jésus défend « la cause de l’homme ». Il « attend ni plus ni moins que l’homme axe radicalement toute sa vie sur Dieu » 132. Il montre, à travers sa parole et son action, l’amour de Dieu: « non pas le châtiment des méchants, mais la justification des pécheurs. » 172
  4. La « prétention incroyable » 175 de Jésus va conduire au « conflit ». Un conflit justifié dans la mesure où « cet homme a violé à peu près tout ce qui était sacré pour ce peuple, pour cette société, pour ses représentants » 182. Conséquence logique, il est condamné à mort comme « roi (c’est-à-dire Messie) des juifs », « livré aux outrages de la soldatesque romaine » (les responsabilités sont ainsi partagées) et exécuté, ce que les évangiles racontent dans un laconique « Et ils le crucifièrent » 208.
  5. Mais, et c’est « le point le plus problématique de nos développements sur Jésus de Nazareth » 219, l’histoire ne s’arrête pas avec la mort de Jésus. Elle continue par « la vie nouvelle ». Küng fonde son chapitre sur « un fait historique attesté » 220, non pas la résurrection elle-même, mais le fait qu’après la mort de Jésus est apparu « le mouvement qui se réclame de lui » 220. Cette réalité historique oblige à se poser des « questions inévitables »: « Comment en est-on venu, après une fin aussi catastrophique, à un nouveau commencement »? 220 « Comment se fait-il que ce maître d’hérésie condamné est devenu le Messie d’Israël et donc le Christ? » 221 Küng prend acte d’un fait: après la résurrection, « celui qui appelait à la foi est devenu le contenu de la foi. » 245
  6. Küng conclut son ouvrage en tirant « les conséquences pour la vie concrète du chrétien ». Il les exprime en trois points relatifs à la souffrance: « ne pas rechercher la souffrance, mais la supporter » 265, « non seulement supporter la souffrance, mais la combattre » 265, « non seulement combattre la souffrance, mais l’assumer » 266.

Il est évident que Hans Küng, comme Benoît Ratzinger, a trouvé le Jésus qu’il cherchait. Pas plus que le Jésus de Benoît Ratzinger n’était le Jésus authentique, son Jésus n’est pas le Jésus historique. Je le sais, et peu importe si je préfère le Jésus de Hans Küng à celui de Benoît Ratzinger, peut-être simplement parce qu’il ressemble plus à mon propre Jésus, à celui dont j’ai besoin.

 

Olivier Bauer

Université de Lausanne