Table des matières

Jon Sobrino

Théologie

 

La théologie de la libération

Un paradigme universel de civilisation ?

 

Du particulier à l’universel : de l’Amérique latine au onde

Sans rien renier : la fidélité à  l’option préférentielle pour les pauvres.

 

 

La théologie de la libération peut-elle être considérée uni­quement comme une réflexion et une pratique contextuelles, latino­-américaines et post-conciliaires ? Ou peut-elle encore non seulement inspirer d'autres théologiens des pays du Sud mais aussi rénover la réflexion théolo­gique dans les pays du Nord, les uns et les autres étant soit victimes soit res­ponsables d'un libéralisme économique mondialisé ? Plus particulièrement au moment , dans lglise catholique, on ressent le besoin de rappeler l'option préférentielle pour les pauvres, prônée par Vatican II ? Alors que le non respect des droits humains et la misère maté­rielle poussent des foules de personnes à manifester contre les injustices so­ciales et l'absence de démocratie, la théologie de la libération ne pourrait­-elle pas, comme l'Évangile lui-même, mais sous des formes nouvelles, être proposée à toutes les femmes et tous les hommes qui aspirent à la justice et à la paix, au-delà de leurs religions ou croyances?

L'ultralibéralisme mondial

La théologie de la libération est née dans le contexte du libéralisme éco­nomique latino-américain. Elle est l'expression intellectuelle et spirituelle d'un mouvement social né dans les années soixante. Pendant des siècles, les institutions ecclésiales s'occupaient des pauvres sans analyser les causes de la pauvreté. Désormais, les pauvres ne sont plus des objets de compassion ou de « charité ». L'Église est solidaire de la lutte des opprimés pour leur libération et participe à leurs combats, mais se

sont les pauvres qui sont acteurs de leur émancipation. Les chrétiens apportent leurs compétences, leurs connais­sances, leurs moyens de' réflexion et de formation à un mouvement d'auto­-émancipation sociale et d'auto-organi­sation. À travers des pastorales popu­laires (pastorale de la terre, pastorale des Indiens ... ), par des commissions Justice et paix, dans le cadre de com­munautés eccsiales de base.

Avec la mondialisation idéologique (disparition du socialisme marxiste et extension du libéralisme économique à tous les États), l'analyse politique et théologique du système économique impérialiste d'Amérique du Sud est dé­sormais valable pour les autres conti­nents (anciens pays communistes, pays non-alignés ... ).

Pour les chrétiens, l'ultralibéralisme (ou néolibéralisme) est intrinqument pervers. Car il considère comme un nouveau dieu (païen) - une idole se­lon la Bible - la loi du marché qui prime dans l'économie et qui est imposée par la recherche du profit avant toute consi­dération sur la complexité de la société et les injustices sociales que cette pra­tique induit. Autre critique: la dette ex­térieure imposée par les pays du Nord aux pays du Sud. Les hommes ne sont pas au centre du système économique et les plus pauvres en sont les premières victimes.

Un peuple responsable et engagé

Dans le mouvement de libération des pauvres, l’action est première. En Amé­rique latine, les militants chtiens privilégiaient rengagement syndical, la revendication des droits humains et la lutte contre les dictatures. C'est dans des pratiques de libération concrètes et his­toriques que Dieu s'offre à la rencontre avec les hommes - qu'il se révèle à eux.

Le peuple est son propre interprète de la Bible car il vit des situations analogues à celles que vécurent les Hébreux en leur temps. Il prend conscience d'être peuple de Dieu, un peuple en chemin - en exode - vers une terre meilleure. C'est en son sein que naissent pasteurs et théologiens, formés par l'exrience et l'exercice des responsabilités pour le service des communautés.

Cette théologie n'est pas un système figé. Elle ne détient pas la vérité. Elle n'est ni thomiste ni hellénique. Elle est un cheminement jamais achevé. Elle est fidèle à la vie et la parole de Dieu qui s'annonce toujours vivante.

Chemins d'une évangélisation libératrice

Concrètement, aujourd'hui, que povons-nous retenir de la théologie de la libération en vue d'une action efficace à la base et proposable à tous les chré­tiens?

Il convient toujours de partir d'une analyse de la réalité. D'adopter une attitude critique devant toute structure qui empêche la valorisation des expres­sions authentiques du peuple. De déve­lopper des instruments d'observation et d'analyse de telle sorte que le peuple lui-même soit capable d'identifier les vraies causes des injustices et les possi­bilités de sortir de cette situation.

Politiquement, que l'Église participe à la lutte de libération du peuple, en collaborant pour que celui-ci découvre lui-même les causes de l'oppression dans laquelle il vit. Que lglise dé­nonce toute forme d'injustice, aussi bien au niveau de l'individu que du système. En proposant une société diférente, sans privilèges, dans laquelle les moyens de production ne sont plus concentrés entre les mains d'une mino­rité. Que l'Église favorise la fraternité et la communion entre les peuples. Ce processus de libération doit commen­cer à l'intérieur de l'organisation ecclé­siale pour que sa parole libératrice soit authentique.

Il est impératif que le peuple de Dieu s'organise en communautés autonomes de foi et de vie qui ont le souci les unes des autres et qui vivent en commu­nion avec leur évêque. Que soit mis en valeur le sacerdoce commun des baptisés de telle sorte que les commu­nautés puissent célébrer les expressions sacramentelles de la foi. La présence de l'Église dans le monde conduit à une ouverture de la communauté ecclésiale

à la collaboration avec d'autres hommes et groupes en vue de la construction d'un monde plus fraternel et plus juste.

Comment se positionner face à la culture populaire ? La religiosité et la culture populaire doivent être res­peces car elles contiennent assuré­ment des valeurs de protestation et de dénonciation contre les cultures de la bourgeoisie et de la hiérarchie cathlique. Elles doivent néanmoins être soumises à une critique dans la lumière de l'Évangile. Par ailleurs, le peuple doit rester libre dans la recherche de nouvelles formes d'expression et de prière.

Du particulier à l'universel

Pour les chrétiens, Dieu s'est fait homme. C'est-à-dire que l'humain est assez riche pour nous dire quelque chose de Dieu. Que l'humain est infi­niment respectable puisque Dieu a voulu lassumer. Mais Jésus a témoigné dune certaine manière dêtre humain. Cest à nous de trouver cet humanisme véritable qui est aussi un christianisme authentique. Grâce, par exemple, à

lÉvangile et à la Déclaration univer­selle des droits de lhomme.

En tendant à luniversalité, la théologie de la libération intègre les nouveaux défis du multiculturalisme. Il est sou­haitable qu’elle devienne un nouveau paradigme de civilisation fondé sur une éthique de la vie et une solidarité planétaire. À travers une fraternité de combat. Contre toutes les discrimina­tions (minorités, femmes ) et les injutices, pour la paix, lécologie, pour le pluralisme religieux et la laïcité, dans le dialogue interconfessionnel

La lutte pour subvertir les systèmes qui écrasent des hommes déborde les cli­vages culturels, sociaux ou religieux. Elle doit mobiliser toutes les bonnes volontés. Par son choix radical de parti­ciper aux combats des pauvres, la théo­logie de la libération y a toute sa place. Et avec elle tous les chrétiens. Du parti­culier à luniversel : de l’Amérique latine au monde. Sans rien renier : la fidélité à loption préférentielle pour les pauvres.


Jean-Paul Blatz Parvis septembre 2013