Laurent Landette,
au plus près de la tendresse de
Dieu
De sa première rencontre avec la communauté de l’Emmanuel, l’un des mouvements phare du renouveau charismatique et de la nouvelle évangélisation en France, Laurent Landete garde un souvenir en demi-teinte. Il n’avait pas été vraiment « emballé par les manifestations extérieures », comme il dit, de ces chrétiens qui battaient le pavé de la rue Sainte-Catherine, en plein cœur de Bordeaux pour annoncer la Bonne Nouvelle aux passants.
En revanche, il appréciera à jamais le sens de
l’accueil de ces catholiques joyeux et dynamiques qui surent lui faire la place
qu’il cherchait dans l’Église. En lui donnant le sentiment d’être véritablement
« invité », lui que ses parents avaient toujours habitué à tenir « table
ouverte » chez eux, de manière totalement naturelle.
Parmi ces chrétiens accueillants, manifestant cette
bienveillance qui lui tient le plus à cœur, il y avait Christel, sa future
épouse, infirmière elle aussi, dont il apprendra plus tard qu’elle avait dû
surmonter de vives résistances intérieures pour participer à cette animation
dans la rue…
La compassion, essentielle à ses yeux
L’anecdote renseigne beaucoup sur l’approche et le
tempérament de celui qui quittera en 2018 son poste de modérateur – comprenez «
patron » – de l’Emmanuel, après un troisième et dernier mandat de trois ans.
Aux grands discours sur la révélation, au jargon ecclésial qu’il voit comme une
barrière empêchant le plus grand nombre d’accéder à la parole de Dieu, ce père
de six enfants préfère les relations personnelles qui traduisent en gestes
sensibles les valeurs évangéliques. Au premier rang desquelles la compassion,
essentielle aux yeux de cet infirmier libéral, associé dans un cabinet de la
banlieue bordelaise, non loin de Mérignac où il réside.
> À lire aussi Laurent Landete, modérateur de la
communauté de l’Emmanuel?: « Notre langage ne doit pas être un obstacle à
l’accueil »
C’est bien par la compassion que Laurent Landete a
accompli ce qu’il appelle sa conversion. On se permet de le reprendre sur le
mot, un peu galvaudé. N’a-t-il pas été élevé dans une famille catholique de
Bordeaux – son père était ingénieur en bâtiment – qui l’a préparé à la première
communion?? Sa grand-mère ne lui donnait-elle pas de l’eau de Lourdes, qu’elle
rapportait de ses séjours dans la cité mariale?? N’est-il donc pas étrange de
parler de « conversion »?? Il accepte volontiers la remarque. « Mes parents
étaient catholiques, c’est vrai, et j’ai grandi dans un climat bienveillant
vis-à-vis de l’Église. Mais ils n’étaient pas pratiquants. Je n’allais pas à la
messe, je ne le lisais pas la Bible. »
Une sensibilité à la fragilité
Sous le mot conversion se cache le moment où
Laurent Landete a fait le choix de croire et d’engager une relation personnelle
avec Dieu. C’était à Lourdes, il allait commencer des études de médecine. Des
amis l’avaient convaincu de participer au Pèlerinage national, organisé chaque
année pour le 15 août par les religieux assomptionnistes. Un jeune myopathe,
lourdement handicapé, lui est confié. Laurent doit prendre soin de Philippe,
l’habiller, lui brosser les dents, l’accompagner durant tous ses déplacements.
Chaque soir, dans sa chambre, le jeune Bordelais pleure comme il n’a jamais
pleuré. Une question lui transperce le cœur et bouscule ses repères?: «
Pourquoi lui, pourquoi pas moi? »
Un jour, Philippe demande à se rendre à la grotte.
Souvenir indélébile. « Philippe a soudain posé son regard sur un autre jeune
homme, lourdement handicapé, lui aussi. Je n’avais jamais vu un regard d’une
telle bonté. Comment pouvait-il donner autant d’amour malgré tant de douleurs??
» En échange de son regard, Philippe reçoit un sourire magnifiquement complice
de son compagnon de souffrances. « À cet instant s’est imposée à moi la
certitude que Dieu est amour et tendresse », se souvient Laurent Landete, qui,
depuis lors, s’est toujours montré sensible à la fragilité. Il en a fait même
son métier, profondément relié à sa foi. « J’ai compris que je voulais soigner,
mettre les doigts dans les plaies. Avec les personnes handicapées ou malades,
les masques tombent. »
Une passion pour son jardin potager
Il cite Jésus, qui, sur la croix, s’est exposé à la
plus grande des fragilités. Dit détester les hommes et les femmes jouant aux
forts, en se masquant derrière une apparence. Quand ses responsabilités et ses
voyages dans le monde entier pour visiter les communautés de l’Emmanuel lui en
laissent le temps – il a parcouru une trentaine de pays depuis 2009 – il donne
un coup de main à ses associés du cabinet infirmier. Les personnes âgées sont
les patients qu’il préfère retrouver car ces êtres « désarmés » s’approchent de
l’essentiel. « Fleuris là où tu as été planté », pourrait être la devise de
celui qui cultive une vraie passion pour son jardin potager. On l’aperçoit à
travers la vaste baie vitrée du salon familial, où il reçoit, posément installé
dans un fauteuil. Il se dit pourtant impatient et enrage parfois devant
l’indécision, voire la mollesse. Paradoxal?? « J’aime bien les gens qui se
décident, les choses dynamiques et qui avancent. Notre fondateur, Pierre
Goursat, a su impulser un élan, cela ne l’empêchait pas d’être un petit
bonhomme humble et simple. »
On s’amuse à lui rappeler que l’Emmanuel n’a
peut-être pas toujours fait preuve d’une grande humilité, à l’époque, il y a une
trentaine d’années donc, où le renouveau charismatique était présenté comme
l’avenir de l’Église. Toujours très calme, il répond que l’Emmanuel est «
encore un enfant », vivant mais forcément fragile, doit-on comprendre entre les
lignes. Il est assez aisé de le croire éloigné des enjeux de pouvoir et de
grandeur et de penser que son engagement à la tête de l’Emmanuel est d’abord
animé du désir de témoigner de sa foi, nourrie de son expérience et des aléas
de la vie. Le pape François, qui invite les pasteurs à sentir l’odeur de leurs
« brebis », revient souvent dans ses propos. Ils ont en commun la même
préoccupation d’une Église qui vient à la rencontre des autres et accepte de
les considérer tels qu’ils sont, sous peine d’être totalement inaudible.
Un humour indispensable
Il ne cache pas que la plupart des membres de la
communauté de l’Emmanuel se sentaient plus proches de Benoît XVI. Il n’hésite
pas à les bousculer, en leur demandant de s’interroger sur ce qui les gêne chez
le pape argentin, qui leur ressemble un peu moins… Avec la même liberté
d’esprit qu’il tire de sa vie intérieure – il est indispensable de la nourrir
par la lecture de la parole de Dieu et la prière pour avoir un comportement
ajusté à l’extérieur –, il ne se prive pas de tancer les jeunes prêtres de la
communauté lorsqu’ils sont tentés de reproduire dans leurs sermons de savants
exposés théologiques, trop déconnectés du réel.
Ce qui l’a fait rejoindre l’Emmanuel, c’est
précisément sa particularité de rassembler en son sein « différents états de
vie », c’est-à-dire des prêtres et des laïcs, mariés, célibataires ou
consacrés, engagés au service de la même cause. Il refuse l’opposition entre
prêtres et laïcs, dont l’enjeu serait le pouvoir et n’aime rien de plus que la
vie communautaire où se confronte la diversité des expériences et des
comportements, avec l’humour comme indispensable instrument pour dépasser les
tensions. Souvent, il invite les prêtres à devenir vraiment « pères » en
sachant d’abord être fils ou frères…
Cet éloge de la paternité trouve un écho au plus
profond de son expérience personnelle. Ses deux premiers enfants étaient encore
bébés quand les médecins ont révélé à leurs parents qu’ils étaient atteints
tous deux d’une maladie génétique. Handicapés lourdement, ils vivent aujourd’hui
dans des institutions spécialisées tout en rejoignant régulièrement leur
famille.
Parce que « la croix ne s’arrête pas à la croix »,
Laurent Landete et son épouse choisiront ensuite de donner naissance à quatre
autres enfants. Malgré la pression et l’incompréhension violente de certains
médecins. Bien des années plus tard, le chef de service de l’un d’eux posera
cette question à Laurent Landete?: « Dites-moi, monsieur, quel est votre
secret? »