La
bataille d’une mère pour son fils autiste
À l’occasion de la Journée
de sensibilisation à l’autisme, samedi 2 avril, Sophie Colonna et Luigi, son
fils de 10 ans, scolarisé en CM1, nous ont raconté leur quotidien, un
parcours âpre mais porteur de grands espoirs.
Les mots du psychiatre résonnent encore
dans la tête de Sophie Colonna : « Votre fils souffre d’un autisme
sévère, le mieux sera de le placer en institution. Pleurez un bon coup et
passez à autre chose », avait-il conseillé aux parents anéantis. « Son
message c’était : “Vivez, de toute façon votre fils est perdu.” Luigi
avait 2 ans et on le condamnait », raconte aujourd’hui cette
mère de trois enfants, qui vit dans un coin de campagne, à 30 kilomètres
de Paris. Ni elle ni son mari n’ont pu s’y résoudre.
Huit ans après, en cette fin de
matinée pluvieuse, Luigi rentre de l’école. Avec son visage très doux, son
sweat à capuche et son cartable, il ressemble à n’importe quel élève de CM1.
Certes il quitte l’établissement avant les autres, car y passer une journée
entière serait trop difficile, en raison de l’agitation, du bruit et de la
nécessité de rester assis. Le garçon de 10 ans suit donc certains
enseignements à la maison, avec l’aide des répétiteurs du Centre national
d’enseignement à distance (Cned).
Pour Sophie, ce parcours scolaire est une victoire, parmi beaucoup
d’autres : l’accès à la parole, à 5 ans, la fin des gestes stéréotypés de
Luigi, la diminution de ses angoisses, qui pouvaient être terribles.
« Quand il était bébé, je ne pouvais pas le mettre nu pour le bain,
se souvient cette belle femme de 46 ans, au regard un peu triste. C’était
comme si je le plongeais dans du feu… On revient de loin »,
souffle-t-elle. « Si nous l’avions mis en institution, notre fils en
serait encore à se taper la tête contre les murs », est persuadé son
père, Ferdinand.
Ses parents ont choisi d’aller « contre
l’ordre établi », disent-ils. « On nous proposait une voie
de garage, alors on a suivi nos tripes et il en fallait, car la pression était
énorme, du corps médical, de notre entourage… », souligne Sophie Colonna.
Grâce à d’autres médecins, la
maman entend parler de l’association Autisme espoir vers l’école, qui promeut
« la méthode des 3i » (1), fondée sur le jeu et une interaction
soutenue avec l’enfant. La méthode n’est pas recommandée par la Haute Autorité
de santé (HAS), faute de travaux de recherche suffisants. Mais certaines
familles font état de résultats spectaculaires. « Le temps était
compté, alors on s’est lancés », dit Sophie.
Ce choix exige une grande
organisation : « Il fallait trouver 40 bénévoles, pour jouer avec
Luigi six heures par jour, toute la semaine, poursuit-elle. Chaque “séance”,
dans la salle de jeux, durait une heure et demie, autour d’une balançoire, d’un
petit trampoline, d’un miroir et de jouets trouvés dans des brocantes. »
Formés par l’association, les bénévoles avaient surtout pour rôle « de
solliciter l’enfant mais sans le contraindre. Il s’agissait avant tout d’être
avec lui, de favoriser l’échange », décrit Sophie, qui pour la
première fois reprend espoir.
La directrice de l’école, des
voisins, des amis acceptent d’aider Luigi. « Au bout d’une heure de
jeux, on en retrouvait certains hilares, à jouer par terre, les cheveux
ébouriffés ! », s’amuse Sophie. Quant à Luigi, il commence à sortir
de sa bulle. « Il s’est mis à nous regarder, à sourire. Un jour, en
rentrant à la maison, il a dit : “Je suis là !” C’était majeur : cela voulait dire qu’il se sentait
exister. »
Cette prise en charge a duré
quatre ans, jusqu’à l’entrée à l’école à 6 ans. Quatre ans sans répit
pour Sophie, qui dit « avoir puisé jusqu’à la moindre petite parcelle
d’énergie » trouvée en elle. S’occuper des bénévoles, bien sûr, mais
aussi se battre pour que Luigi soit scolarisé, répondre aux exigences du Cned,
tout en s’occupant de ses deux autres enfants, de la maison… « Ce qui
est difficile avec cette maladie, c’est que c’est 24 heures sur 24, le
jour, la nuit – pendant trois ans, je n’ai quasiment pas dormi… On
risque parfois de se perdre soi-même. »
Le chemin est encore long : Luigi
reste un enfant différent et rien n’est totalement acquis, Sophie Colonna le
sait. Pour Caroline, la répétitrice de français, son parcours ouvre néanmoins
d’immenses espoirs. « En un an, je l’ai vu progresser, devenir
plus autonome, constate l’institutrice. La grande force de sa mère,
c’est de chercher sans cesse, de n’être jamais figée. Sophie voit d’abord son
enfant, pas le handicap, et elle ose. »
Depuis quelques mois, le garçon
est inscrit à un cours de tir, comme son frère. Lors de la dernière
compétition, il a gagné une médaille de bronze.
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La stimulation de Myriam
Szejer
« Lorsque le diagnostic a été posé
dans un grand hôpital parisien, sans réelle issue pour nous, j’ai décidé
d’aller voir la pédopsychiatre et psychanalyste Myriam Szejer, raconte
Sophie Colonna. Luigi venait d’avoir 2 ans. Cette femme, qui s’intéressait
au “langage” des tout-petits, m’inspirait confiance. Elle m’a orientée vers des
médecins spécialistes de l’autisme,
tout en me disant une chose qui ne m’a plus quittée : il faut agir vite car
tout ce qui est fait pour aider l’enfant lorsqu’il est en bas âge compte dix. »
Marine Lamoureux