On a trop
l'habitude, spécialement dans les milieux chrétiens, de parler de la famille au
singulier, comme si elle se présentait de la même manière, quelle que soit la situation
et la société dans laquelle elle se développe. On est alors tenté de critiquer
les cas concrets que l'on rencontre parce qu'ils sont différents de ce modèle.
Pourtant, pas plus que le jeune ou l’étranger, la famille n'est une
catégorie abstraite. Pour comprendre la réalité de la vie des enfants que nous
prenons en charge, il est indispensable que nous tenions compte de la diversité
des familles d'aujourd'hui: mires seules responsables des enfants, couples
séparés, divorcés, remariés, familles frappées par le chômage, celles où les
enfants sont trop protégés, ou encore laissés à eux‑mêmes.
Diverses, les
familles le sont aujourd’hui, comme elles l’ont été dans toutes les périodes de
l’histoire, carrefour complexe entre l’amour et le ressentiment,
l’épanouissement et la frustration, la domination et l'abnégation... Mais ces
familles sont profondément marquées par leurs conditions de vie, leurs moyens,
leur réseau de relations, et par la société qui leur assure ou non les moyens
d'exister, la sécurité du jour et du lendemain qui facilite ou non la
reconnaissance et le droit à la parole de leurs membres...
Les statistiques qui
décrivent des « moyennes »sont trompeuses; pour les apprécier, il faudrait les
comparer à celles d'autres époques. Sait‑on, par exemple, que dans les
milieux ouvriers de la région parisienne du début du siècle, il naissait au
moins deux fois plus d'enfants hors mariage qu'actuellement en France? Les
familles d'aujourd'hui ne sont donc ni pires, ni forcément meilleures que
celles d'hier. Elles sont autres. Il n'y a pas la famille, il y a des familles.
En France, bien des
périodes antérieures ont connu d'importants bouleversements migratoires, par
exemple entre les campagnes et les villes. Mais faut-il rappeler que nous
vivons une époque où le temps et (espace ont changé de dimension à la mesure
des connaissances, des technologies et des moyens de communication ? Monde mouvant
dans lequel hommes, femmes et enfants des pays dits développés ont à vivre de
nouveaux calendriers.
La durée de vie
augmente sans cesse. L'espérance de vie a augmenté de dix ans environ depuis
1950 pour les hommes comme pour les femmes. Un couple se marie donc pour plus
longtemps. Les péripéties ont une probabilité plus forte de survenir au cours
de la vie conjugale. Sur une année, environ trente ménages divorcent pendant
que cent se marient.
Les cycles de vie,
de la naissance à la mort, sont mouvementés et parfois confus
l'avant‑mariage
et (attente de (entrée dans la vie active forment une zone floue qui se
prolonge; le premier enfant est rêvé, redouté ou différé en attendant que le
couple s'installe, en particulier dans sa vie professionnelle; on reste très
longtemps «grand‑parent » et, de ce fait, très sollicité par les appels
des générations qui suivent et aussi de celle qui précède...
En même temps, le
rythme de vie, plus mécanisé et plus précipité, pour les loisirs comme pour le
travail, impose une adaptation rapide aux enfants comme à ceux qui sont plus
âgés. Pour tous, la qualité du temps vécu ensemble devient prioritaire par
rapport à sa durée.
Les turbulences du
monde extérieur et, sans doute, les attentes plus fortes de chaleur affective
et de réussite induisent (instabilité à tous les niveaux. Les couples se font
et se défont (jadis, la mortalité précoce défaisait aussi les couples); les
familles disjointes se « recomposent » tandis que les conditions de travail et
la sécurité du lendemain deviennent plus incertaines malgré les assurances et
les épargnes que l'on tente d'accumuler. Dès les premières années du second
cycle scolaire, les jeunes font l'apprentissage de la discontinuité, au gré des
options, des sections ou des orientations qui brisent l'unité des classes
d'année en année.
La mobilité et la
flexibilité sont présentées comme un impératif de la société moderne, que ce
soit pour faire carrière ou pour conserver son emploi. Les déménagements
répétés créent des difficultés pour les conjoints et les enfants. Les loisirs
eux‑mêmes sont (occasion de bouger, de parcourir des kilomètres...
Rebâtir de nouveaux équilibres est donc fréquemment nécessaire pour les
familles d'aujourd'hui. Le besoin de retrouver ses racines s'en trouve
exacerbé. Quels lieux accueillent les déracinés, les migrants? Les équipes de
catéchisme ou les paroisses y contribuentelles ?
Les enfants ont
parfois à vivre avec des parents déstabilisés, ou encore qui se succèdent au
sein du foyer. L'organisation de la catéchèse et (attention que l'on porte
individuellement à chacun les aidentils à assumer ces perturbations, même
lorsque les difficultés qu'ils vivent les rendent dérangeants dans la vie des
groupes, remuants, trop demandeurs de marques d'intérêt?
La vie de couple, la
mise au monde et (éducation des enfants représentent un engagement. Quoiqu'on
en dise, la conscience de cet engagement est plus forte que jamais maintenant
qu'il se présente, plus ou moins, comme un choix et non comme une fatalité ou
l'imposition d'une volonté extérieure.
Les parents sont
plus inquiets qu'irréfléchis, parce qu'ils voudraient réussir leur vie
conjugale et l'avenir de leurs enfants. Or, ils ont conscience des limites de
leur pouvoir et en font l'expérience tous les jours. Ils savent, en
particulier, que leurs enfants ne sont pas une « pâte molle » que l'on pourrait
modeler à son gré. Quels choix transmet‑on réellement aux enfants pour
leur profession, leur mariage, leur vie religieuse ou politique?
Grands‑parents
et collatéraux interviennent fortement dans le quotidien des enfants, en
particulier lorsque les parents traversent des périodes d'instabilité. Mais,
quelle que soit la situation, la réduction des cellules parents/ enfants ‑un
ou deux enfants, parfois un seul parent ‑concentre sur ces derniers une
surprotection en bien des cas étouffante, qui rend difficile pour eux
(adaptation à un groupe où ils ne sont plus le centre du monde.
L'évolution semble paradoxale. L'instabilité augmente, les
influences se multiplient, mais le cocon familial risque aussi ‑ par
besoin de chaleur et de défense contre les difficultés extérieures ‑ de
se refermer sur lui‑même et de vivre dans une sorte d'« égocentrisme
familial » où les besoins de la famille servent d'alibi pour refuser tout appel
extérieur et tout partage.
Ce risque peut, à
(inverse d'autres comportements familiaux trop vite stigmatisés, échapper à la critique
parce qu'il semble à tort exalter les valeurs familiales. Pourtant, il accroît
les inégalités sociales (chacun pour soi) et il disloque les coopérations et
les solidarités. La peur de l'autre et les barrières d'autodéfense peuvent se
manifester chez les parents jusqu'aux portes de la catéchèse.
De ce fait,
les influences complémentaires ‑crèches, écoles, catéchisme, mais aussi
grandsparents ou collatéraux ‑ sont sollicitées plus que redoutées dès
la prime enfance. Les rôles éducatifs se redistribuent, l'autorité n'est plus
seulement celle du père. La loi reconnaît «l'autorité parentale » et, dans la
pratique, chaque parent l'exerce selon les moments et selon ses capacités.
Il est d'autant plus
difficile de supporter l'échec éducatif que l'entourage renvoie une image
négative à la fois aux parents « incapables » et à l'enfant «paresseux » ou peu
doué. II suffirait de le vouloir pour devenir un « petit génie » ! Ce besoin de
réussite pèse lourd aussi sur les enfants. A fortiori, quand des perturbations
surgissent dans le couple, allant jusqu'à la séparation et parfois au
remariage, le regard social devient plus pesant, parce que de toute difficulté
rencontrée par les enfants, on imputera l'origine à la « faute » des parents.
Il serait donc
urgent que, prenant acte des situations de fait, on aide parents et enfants à
les vivre plutôt que de les accabler. Comment vivre en plénitude son rôle de
parent lorsque les deux membres du couple mènent une vie professionnelle, quand
les pères sont surmenés, quand la famille devient « monoparentale » ou se
recompose?
Ces interrogations
invitent les catéchistes à reconsidérer leurs relations avec les familles, leur
attitude face à un enfant en voie d'échec, rejeté ou mal aimé. Les critères de
réussite au catéchisme n'ont‑ils pas à être différents de ceux de la
société de compétition? Plus que démissionnaires, les parents se sentent
souvent impuissants.
Enfants très
protégés, et pourtant très tôt mêlés aux adultes, à leurs conflits et à leurs
inquiétudes, enfants aux poches vides ou au cartable trop plein, enfants
comblés ou rejetés par l'entourage comme des « graines de délinquants »... À
travers la diversité des familles, les chances d'avenir des enfants apparaissent
bien inégales.
Les difficultés
conjugales de leurs parents, auxquelles on serait tenté d'apporter toute
son attention, ne
doivent pas faire oublier les autres facteurs d'inégalité ou de
différenciation, en particulier face à l'avenir: moyens financiers, insertion
professionnelle, ouverture sur le monde, réseau de relations formant ou non un
soutien efficace... Enfin, selon que l'on naît fille ou garçon, bénéficie-t‑on
des mêmes attentes de la part des parents et des éducateurs ?
Est‑il encore
besoin d'insister pour réaffirmer qu'il n'y a pas une famille, mais des
familles? Mieux, chaque famille se transforme dans le temps. Chacune a ses
lieux de vie et son histoire. Le passage des enfants en catéchèse peut aussi
contribuer à son évolution.
Agnès
Pitrou THABOR L’Encyclopédie des
catéchistes Desclée p.247-250
Document :
Edition Cerf - Paris
22
novembre 1981
I. Lumières et ombres de la famille d’aujourd’hui |
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II. Le dessein de Dieu sur le mariage et sur la famille |
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III. Les devoirs de la famille chrétienne |
La formation d’une communauté de personnes |
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Le service de la vie |
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La transmission de la vie |
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L’éducation |
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La participation au développement de la
société |
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La participation à la vie et à la mission de
l’Eglise |
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Communauté qui croit et qui évangélise |
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Communauté en dialogue avec Dieu |
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Communauté au service de l’homme |
IV. La pastorale familiale |
Les étapes |
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Les structures |
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Les responsables |
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Les cas difficiles |
Seigneur, que nos familles ne soit pas
Un cocon de toute quiétude,
Où l’on est bien entre soi, gens de
même pays
Et de même langage, fuyant
l’étranger !
Et pourtant qu’elle soit ce lieu
Où l’on peut être reconnu sans être
jugé,
Ecouté sans préjugés, regardé d’un œil
neuf
Malgré le poids de l’habitude.
Que les parents protègent sans
l’étouffer
La plante vivace qu’est leur enfant
Dans sa croissance,
Que les principes ne soient pas
servitude
Ni la liberté indifférence.
Que la table familiale reste ce lieu
De l’échange où l’on peut apporter sa
vie,
Mais où le secret intérieur de chacun
Est toujours respecté.
Que les biens matériels
Demeurent à leur juste place
Et que la part du pauvre soit
réservée.
Dans la
liberté des consciences,
Que l’on
apprenne à te reconnaître
Dans le cœur
de tout homme,
A te
rencontrer dans la prière.
Seigneur, nous te prions aussi
Pour les familles disloquées
Où l’amour a été trahi,
Où la confiance a fait place à la
rancœur
Entre les personnes.
Retourne les cœurs,
Apprends aux hommes ce qu’est le pardon.
Quel que soit
notre âge, ne permets pas
Que nous
délaissions notre famille :
Regardons-la
avec lucidité et amour.