Table des matières

Eglise de Jésus-Christ

Unité selon Jean-Paul II

 

EXCOMMUNICATION

 

Symboles

ÉDITORIAL La Croix Lundi 26 janvier 2009  


  Annonçant une décision histori­que, le pape la définit comme « une invitation aux communautés sépa­rées pour la recherche de l’unité à laquelle tant d’âmes aspirent aujourd’hui sur toute l’étendue de la terre ». Quel pape ? Jean X XIII. Quelle décision ? La convocation du con­cile Vatican II. C’était le 25 janvier 1959, moins de trois mois après son élection, et au terme de la semaine de prière pour l’Unité des chrétiens. Il y a cinquante ans exactement : le genre de symbole qui, à Rome, n’échappe à personne.


  Un symbole à deux faces, en fait. Le jour choisi pour annoncer la levée de l’excommunication des quatre évêques ordonnés illicitement par Mgr Lefebvre se situe exactement dans le même contexte œcuméni­que. Il est plus qu’évident que la dé­cision de Benoît XVI est mue avant tout par la hantise de tout pasteur : assurer la communion du peuple de Dieu qui lui est confié. Que, aux yeux du troupeau resté fidèle, les brebis égarées aient des allures galeuses (jusqu’à l’intolérable, dans le cas de l’évêque révisionniste Williamson) ne peut que renforcer la compassion du berger.


  Mais Rome n’a fait qu’ouvrir une porte, qu’il appartient désormais aux exclus d’hier de vouloir fran­chir. Ils ne pourront le faire qu’une fois clarifié leur rapport à l’Église, à l’ensemble de ses pasteurs et à l’intégralité de son enseignement. Le retour au bercail des intégristes qui le voudront ne pourra donc pas se faire aux conditions qu’eux-mê­mes fixaient, à savoir une remise en cause de Vatican II. C’est l’autre poids symbolique de l’événement de samedi : la mémoire de Jean XXIII dit clairement que le Concile lui-­même a pour vocation essentielle cette unité des enfants de Dieu dispersés, qui ne saurait se faire au détriment du Magistère.


  La fin d’un schisme est une bonne nouvelle en soi. Mais elle a un prix, celui de la douleur que provoque toute réduction de fracture, tant sur le membre désuni que sur l’ensemble du corps meurtri. La poignée des fils prodigues, s’ils veulent sincèrement retrouver leur père, auront matière à contrition plus qu’au triomphalisme qu’ils persistent à afficher. Et la foule des fils aînés, à la fidélité intacte, ne devra pas se sentir désavouée par la joie de Dieu quand un veau gras sera sacrifié pour le retour des cadets. Puisse seulement ce choix, d’apparence passéiste, ne pas faire fuir plus de fidèles qu’il ne permettra d’en retrouver, ni trop brouiller dans l’opinion le message de l’Évangile que les uns et les autres ont mission d’annoncer.

Michel Kubler

Six questions après la levée de l’excommunication


 Le décret voulu par Benoît XVI levant l’excommunication des quatre évêques intégristes ordonnés en 1988 par Mgr Lefebvre pose six questions essentielles

 

  Ce décret signifie-t-il le retour à la pleine communion des intégristes ?

  Non, il ne concerne que les quatre évêques. Comme le précise le texte, ce n’est qu’un pas vers le retour à la pleine communion de toute la Fraternité. L’excommunication, acte individuel, a été provoquée en 1988 parce que ces évêques étaient consacrés sans mandat pontifical. Pour eux, Benoît XVI a donc considéré que les condi­tions de cette levée étaient réunies : par la lettre envoyée au pape en décembre dernier, Mgr Ber­nard Fellay donnait le signe manifeste de sa vo­lonté de réparer le scandale créé par leur faute.

  Il convient de préciser que cela n’a aucun rap­port avec la situation des divorcés remariés: la confusion vient du mot communion. Mais les divorcés remariés ne sont pas «excommuniés», c’est-à-dire qu’ils ne sont pas exclus de la com­munauté de l’Église. Simplement, ils ne peuvent pas communier, c’est-à-dire approcher de la table eucharistique. Ils font évidemment pleinement parti de l’Église.

 

 Quelles conséquences pour la Fraternité Saint-Pie-X ?

  Aucune pour l’instant. Les quatre évêques, eux, sont désormais en pleine communion avec l’Église catholique. C’est-à-dire qu’ils acceptent le ministère du pape et des évêques. Le décret cite ainsi cette assurance donnée par Mgr Ber­nard Fellay au pape : « Nous croyons fermement au Primat de Pierre et à ses prérogatives. » Ils peuvent donc maintenant dispenser des sa­crements de manière tout à fait licite, et ont, en quelque sorte, le statut d’évêques émérites (à la retraite), en attendant qu’on leur attribue un siège titulaire.

  Et la Fraternité elle-même ? La question reste entière. L’ordination de ces 500 prêtres de la Fraternité est considérée comme valide par l’Église catholique (il ne faudra pas en refaire une autre), mais illicite. Juridiquement, ils sont toujours « suspens ». En allant à la Fraternité Saint-Pie-X, ils ont posé un acte schismatique, et les sacrements qu’ils peuvent dispenser (bap­tême, communion…) sont illicites.

  Tout va dépendre de leur attitude désormais : soit ils acceptent explicitement la décision des évêques de la Fraternité, soit ils la refusent, et restent dans une posture schismatique. Mais alors, ils n’auront plus de hiérarchie épiscopale vers laquelle se tourner. C’est pourquoi il était, aux yeux de Rome, très important que les qua­tre évêques de la Fraternité soient réintégrés ensemble. S’il en était resté un, les prêtres les plus « durs » auraient pu aller vers lui, ce dernier aurait continué à ordonner de nouveaux prêtres, créant dès lors un nouveau schisme…

 

 Que va-t-il se passer maintenant ?

 Tout dépend des prêtres. Pour être de nou­veau en pleine communion, ils doivent décla­rer qu’ils suivent les quatre évêques. Mais il faudra ensuite leur trouver une structure. On pense à Rome à une prélature personnelle, comme pour l’Opus Dei. Sans doute, avec la Fraternité Saint-Pie-X, cette prélature non territoriale aurait-elle une base rituelle, on y célébrerait uniquement selon la forme dite extraordinaire du rite romain. Cette semaine, le cardinal Darion Castrillon Hoyos, président de la Commission Ecclesia Dei, qui s’occupe de cette réintégration, devrait s’en expliquer publiquement dans la presse.

 

  Cette réintégration passe-t-elle par une reconnaissance des enseignements de Vatican II ?

 C’est tout le problème. Le décret publié samedi ne parle pas de Vatican II, mais il évoque de ma­nière indirecte le « problème posé à l’origine » . Pas plus que, selon nos informations, la lettre envoyée par le cardinal Tarcisio Bertone aux res­ponsables de la Curie, dans laquelle il explicite ce geste. Une absence qui en inquiète plus d’un, à Rome. « Il y a des courants qui refusent le Con­cile, en s’appuyant sur le fameux troisième secret de Fatima, parlant d’une apostasie silencieuse de l’Église. Leur capacité de nuisance ne doit pas être sous-estimée », note un membre de la Curie.


  De ce point de vue, la mention par Mgr Fellay dans sa lettre aux fidèles de « l’apostasie silen­cieuse » est claire. Le refus des enseignements du Concile est la véritable cause de la rupture des intégristes. Pour la constitution de l’Institut du Bon-Pasteur par d’anciens membres de la Frater­nité, en 2006, ses membres se sont explicitement engagés « à propos de certains points enseignés par le concile Vatican II ou concernant des ré­formes postérieures de la liturgie et du droit, et qui nous paraissent difficilement conciliable à avoir une attitude positive d’étude et de commu­nication avec le Siège apostolique, en évitant toute polémique. »

 Rien de tel, selon nos sources, cette fois: «Vatican II n’est pas un dogme de foi», dit-on. À partir du moment où les évêques et prêtres de la Frater­nité reconnaissent l’enseignement de l’Église, et le magistère du pape, cela vaudrait reconnaissance implicite. On peut cependant noter que, en rendant public ce décret 50 ans après l’annonce du Concile par Jean XXIII, le pape marque bien sa volonté de situer cela dans une attitude conciliaire. C’est la lecture qu’en faisait ce week-end L’Osserva­tore Romano , en liant clairement les deux événements. De même, hier soir, lors des vêpres œcuméniques, Benoît XVI devait souligner l’aspect positif qu’a constitué, pour l’Église, la convocation de ce concile.


  Cela signifie-t-il que l’Église accepte de nouveau l’antisémitisme ?

Les déclarations négationnistes de Mgr Richard Williamson, l’un des évêques concernés par la levée d’ex­communication, sont venues jeter le trouble. Aux yeux de la communauté juive, le pape, avec ce geste, revient sur les grands acquis du dialogue, en acceptant au sein de l’Église des personnes clairement antisémites. Le P. Federico Lombardi, porte­parole du Vatican, a expliqué que l’Église réprouvait évidemment ce type de déclarations, mais que cela n’entrait pas en ligne de compte dans la levée de l’excommunication : celle-ci n’a pas été prononcée pour propos antisémites. Sa levée ne les concerne pas plus.

  Mais ces propos de Mgr Williamson posent le problème de la sensibilité politique de responsables de la Fra­ternité. Cette dimension est totale­ment ignorée à Rome, où l’on ne veut connaître que le problème ecclésial. Mais elle est présente à l’esprit des épiscopats français ou allemands, qui savent la réalité des liaisons d’une partie de la Fraternité avec l’univers de l’extrême droite française ou allemande. S’il n’est pas question d’interdire le seuil de l’Église en fonction des opinions politiques, certaines idéologies proférées par des membres de la hiérarchie ecclésiale sont plus problématiques.


  S’agit-il d’une décision de Benoît XVI ?

 Sans aucun doute, il s’agit d’une décision personnelle, a insisté le P. Lombardi, porte-parole du Saint-Siège, devant les journalistes. En 1988, le cardinal Ratzinger, qui menait les négociations, a été pro­fondément blessé par leur rupture. Né dans un pays partagé par deux confessions, préoccupé par l’unité de l’Église, il sait qu’un schisme se résorbe rarement. Et il est sensible, comme une partie de la Curie, au fait que cette Fraternité compte beaucoup de vocations, alors que les prêtres manquent cruellement.

  Depuis le début de son pontificat, il ne ménage pas ses efforts. Quelques mois après son élection (août 2005), il reçoit Mgr Bernard Fellay. Son discours devant la Curie (décem­bre 2006) replace Vatican II dans la tradition de l’Église, pour répondre aux critiques intégristes. Enfin, le Motu proprio de juillet 2007 libé­ralise la messe selon le rite de saint Pie V, ce qui était la demande de la Fraternité. Dernier pape du Concile, Benoît XVI estime sans doute qu’il est de son devoir de résorber les di­visions qui ont suivi, et d’en donner la bonne interprétation.


 ISABELLE DE GAULMYN

 

Evêché de Versailles

Le 28 janvier 2009

Chers Pères,

Chers amis,

 

La récente levée des excommunications des quatre évêques de la Fraternité saint Pie X trouble un certains nombre de fidèles.

La déclaration du Conseil permanent de la Conférence des Evêques de France dit les choses avec clarté et fermeté. Elle nous situe dans l’espérance en communion avec le Saint Père, et dans  la fidélité à la mission d’annoncer l’Evangile. Je me permets de vous la transmettre.

J’y ajoute en note quelques extraits des propos du Saint Père lors de l’audience générale de ce mercredi 28 janvier 2009.

N’hésitez pas à la faire connaître à vos fidèles.

 

Bon courage pour tout,  dans la communion que nous venons encore d’expérimenter à l’occasion des obsèques de Monseigneur Simonneaux.

 

+ Eric Aumonier

Evêque de Versailles

 

 

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Paris, mercredi 28 janvier 2009

 

La levée, par le Saint-Siège, de l'excommunication des quatre évêques de la Fraternité Saint-Pie X suscite de nombreuses réactions dans l'opinion catholique et dans la société.

 
La simultanéité de cette annonce avec la révélation des propos de Mgr Williamson, niant le drame de l'extermination des juifs, provoque une réprobation on ne peut plus légitime.


Les évêques de France condamnent fermement les paroles inacceptables et scandaleuses de Mgr Williamson.

 
Ils redisent à la communauté juive de France leur engagement indéfectible au dialogue et à l'amitié.

 
Ils rappellent que Benoît XVI ne cesse de signifier son attachement à une relation fructueuse entre juifs et chrétiens[1].

 
Ils précisent instamment que la levée de l'excommunication n'est pas une réhabilitation.
Elle constitue le point de départ d'un long chemin qui supposera un dialogue précis.

 
En aucun cas, le Concile Vatican II ne sera négociable[2].

 
Aucun groupe ecclésial ne peut se substituer au magistère.

 
Les évêques saluent la volonté du Saint-Père d'aller jusqu'au bout de ce qu'il pouvait faire comme invitation à une réconciliation. Ils sont en communion avec lui dans l'exercice de la vigilance épiscopale.


Ils expriment leur soutien et leur reconnaissance aux prêtres, diacres, religieux et laïcs qui composent l'Eglise catholique en France et animent fidèlement les communautés chrétiennes vivantes et proches des hommes de ce temps.

Conseil permanent de la Conférence des évêques de France

 

 

 

 

Communiqué de Mgr Fellay, Supérieur de la Fraternité Saint Pie X


Nous avons eu connaissance d’une interview accordée par Monseigneur Richard Williamson, membre de notre Fraternité Saint Pie X, à la télévision suédoise. Dans cette interview, celui-ci s’exprime sur des questions historiques, en particulier sur la question du génocide juif par les national-socialiste.


Il est évident qu’un évêque catholique ne peut parler avec une autorité ecclésiastique que sur des questions concernant la foi et la morale. Notre Fraternité ne revendique aucune autorité sur les autres questions. Sa mission est la propagation et la restauration de la doctrine catholique authentique, exposée dans les dogmes de la foi.


C’est pour ce motif que nous sommes connus, acceptés et estimés dans le monde entier.

C’est avec une grande peine que nous constatons combien la transgression de ce mandat peut porter tort à notre mission. Les affirmations de Mgr Williamson ne reflètent en aucun cas la position de notre société. C’est pourquoi je lui ai interdit, jusqu’à nouvel ordre, toute prise de position publique sur des questions politiques ou historiques.


Nous demandons pardon au Souverain Pontife, et à tous les hommes de bonne volonté, pour les conséquences dramatiques d’un tel acte. Bien que nous reconnaissions l’inopportunité de ces propos, nous ne pouvons que constater avec tristesse qu'ils atteignent directement notre Fraternité, dans le but de discréditer sa mission.


Cela nous ne pouvons l’admettre et nous déclarons que nous continuerons de prêcher la doctrine catholique et de dispenser les sacrements de la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ.


Menzingen, le 27 janvier 2009

+ Bernard Fellay
Supérieur Général

 

 

 

Lettre ouverte de Mgr Hippolyte Simon,

vice-président de la Conférence des évêques de France


Le 29 janvier 2009

 

Lettre ouverte à ceux qui veulent bien réfléchir…..

Qui avait intérêt à salir la réputation du Pape ?

 

Je ne sais pas si je suis en colère ou si je suis malheureux : la vérité tient sans doute des deux. Mais trop, c’est trop, alors je dis : ça suffit ! Le déchaînement médiatique contre le Pape Benoît XVI, qui aurait réintégré quatre évêques intégristes, dont un négationniste avéré, ne relève pas de la critique, mais de la calomnie et de la désinformation. Car, quoi que l’on pense des décisions du Pape, il faut dire, répéter et souligner que ces quatre évêques n’ont pas été réintégrés[3]. Et donc, Mgr Williamson, dont les propos tenus à la télévision suédoise sont effectivement intolérables, n’est toujours pas revenu au sein de l’Eglise catholique et il ne relève toujours pas de l’autorité du Pape. Les informations qui parlent  de réintégration reposent sur une confusion grave entre levée des excommunications et réintégration à part entière.

 

J’accorde volontiers mon indulgence à tous les journalistes et à tous les commentateurs qui ont pu confondre, de bonne foi, la levée de l’excommunication et la réintégration pure et simple. Les catégories utilisées par l’Eglise peuvent prêter à équivoque pour le grand public. Mais la vérité oblige à dire  que, selon le Droit de l’Eglise, ce n’est pas du tout la même chose. Si on confond les plans on devient victime de simplifications qui ne profitent qu’à ceux qui veulent faire de la provocation. Et on se fait complice, involontairement, de ces derniers. De façon habituelle, le grand public est en droit d’exiger d’un journaliste sportif qu’il sache distinguer, par exemple, entre un corner et un essai. Pourquoi l’Eglise n’aurait-elle pas le droit d’avoir aussi son vocabulaire « technique » et pourquoi devrait-on tolérer des approximations aussi graves simplement sous prétexte qu’il s’agit de religion ?

 

Reprenons donc exactement ce qui s’est passé. Suite à l’élection du Pape Benoît XVI, en Avril 2005, les évêques de la Fraternité Saint-Pie-X, fondée il y a plus de trente ans par Mgr Lefebvre, ont demandé à reprendre le dialogue avec Rome, mais ils avaient mis deux préalables: premièrement, la libéralisation du Missel de 1962, ce qui a été fait par le motu proprio, en juillet 2007 et, deuxièmement, la levée des excommunications.

 

Que signifie la levée des excommunications ? Pour prendre une comparaison familière, je dirai ceci : quand Mgr Lefebvre est sorti, c’est-à-dire quand il a désobéi en ordonnant quatre évêques malgré l’avis formel du Pape, c’est comme s’il y avait eu, automatiquement, une barrière qui était tombée et un feu qui s’était mis au rouge pour dire qu’il était sorti. Cela voulait dire que si, un jour, il voulait rentrer, il faudrait qu’il fasse d’abord amende honorable. Mgr Lefebvre est mort. Paix à son âme !  Aujourd’hui, ses successeurs, vingt ans après, disent au Pape : «Nous sommes prêts à reprendre le dialogue, mais il faut un geste symbolique de votre part. Levez la barrière et mettez le feu au clignotant orange !» Le Pape, pour mettre toutes les chances du côté du dialogue, a donc levé la barrière et a mis le feu au clignotant orange. Reste à savoir maintenant si ceux qui demandent à rentrer vont le faire. Est-ce qu’ils vont rentrer tous ? Quand ? Dans quelles conditions ? On ne sait pas. Comme le dit le cardinal Giovanni Battista Re [préfet de la Congrégation des évêques], dans son décret officiel : « il s’agit de stabiliser les conditions du dialogue ». Peut-être que le Pape, dans un délai que nous ne connaissons pas, leur donnera un statut canonique. Mais pour l’instant, ce n’est pas fait. Le préalable au dialogue est levé, mais le dialogue n’a pas encore commencé. Nous ne pouvons donc  pas juger les résultats du dialogue avant qu’il n’ait eu lieu.

 

Là-dessus, la veille du jour où devait être publié le décret du Cardinal RE, voici qu’une télévision suédoise publie ou republie les propos clairement négationnistes de l’un des quatre évêques concernés, Mgr Williamson. Le Pape, quand il a donné son feu vert à la signature du décret par le Cardinal pouvait-il connaître les discours de Mgr Williamson ? Très honnêtement, je crois pouvoir dire que non. Et c’est en un sens plutôt rassurant : c’est le signe que le Vatican n’a vraiment pas les moyens de faire surveiller tous les évêques et toutes les chaînes de télévision du monde ! C’est donc ici qu’il ne faut pas se tromper d’interprétation : que signifie cette coïncidence entre la signature d’un décret, prévue pour le 21 Janvier, et donc connue de Mgr Williamson, et la diffusion des propos télévisés du même personnage ?

 

Que chacun se demande : à qui profite le crime ? A qui profite le scandale provoqué par des propos d’une telle obscénité ? La réponse me semble limpide : à celui ou à ceux qui voulaient torpiller le processus inauguré par la signature du décret ! Or, pour peu que l’on suive un peu ces questions et les différentes interventions de Mgr Williamson depuis quelques années, il est clair que lui ne veut à aucun prix de la réconciliation avec Rome ! Cet évêque, dont je répète, qu’il n’a encore aujourd’hui aucun lien de subordination canonique vis-à-vis de Rome, a tout simplement utilisé la méthode des terroristes : il fait exploser une bombe (intellectuelle) en espérant que tout le processus de réconciliation va dérailler. Il fait comme tous les ultras de tous les temps : il préfère laisser un champ de ruines plutôt que de se réconcilier avec ceux qu’il considère comme des ennemis.

 

Alors je le dis avec tristesse à tous ceux qui ont relayé, - avec gourmandise ou avec douleur-, l’amalgame entre Benoît XVI et Mgr Williamson : vous avez fait le jeu, inconsciemment, d’un provocateur cynique ! Et, en prime, si j’ose dire, vous lui avez offert un second objectif qui ne pouvait que le ravir : salir de la pire des manières la réputation du Pape. Un pape dont il se méfie plus que de tout autre, car il voit bien que ce Pape ruine absolument tout l’argumentaire échafaudé jadis par Mgr Lefebvre. Je ne peux pas développer ici ce point. Je ne fais que renvoyer à un article que j’avais publié dans les colonnes du journal Le Monde, l’an dernier, au moment de la publication du Motu Proprio : « Quand je lis, un peu partout, que le Pape accorde tout aux intégristes et qu’il n’exige rien en contrepartie, je ne suis pas d’accord : il leur accorde tout sur la forme des rites, mais il ruine totalement leur argumentaire sur le fond. Tout l’argumentaire de Mgr Lefebvre reposait sur une prétendue différence substantielle entre le rite dit de Saint Pie V et le rite dit de Paul VI. Or, réaffirme Benoît XVI, il n’y a pas de sens à parler de deux rites. On pouvait, à la rigueur, légitimer une résistance au Concile si l’on pensait, en conscience, qu’il existait une différence substantielle entre deux rites. Peut-on légitimer cette résistance, et a fortiori un schisme, à partir d’une différence de formes ? » [4]

 

Pour un fondamentaliste, et qui plus est, pour un négationniste forcené comme Mgr Williamson, Benoît XVI est infiniment plus redoutable que tous ceux qui font l’apologie de la « rupture » introduite par le Concile Vatican II. Car s’il y a rupture, alors il est conforté dans son opposition à la « nouveauté ». Mais celui qui démontre paisiblement que le Missel de Paul VI, la liberté religieuse et l’œcuménisme font partie intégrante de l’authentique Tradition Catholique, celui-là lui enlève toute justification.

 

J’ai bien conscience qu’il faudrait développer mon argumentation. Que chacun veuille bien me pardonner de renvoyer aux sites internet où tout ceci est visible. Mais je souhaite surtout que chacun veuille bien se méfier des provocations trop bien montées. Quant à ceux qui s’obstinent à répéter que Joseph Ratzinger a servi dans les Jeunesses hitlériennes, qu’ils veuillent bien relire le témoignage qu’il a donné à Caen, le 6 Juin 2004, pour le soixantième anniversaire du Débarquement en Normandie, et qu’ils se demandent ensuite ce qu’ils auraient fait à sa place. ..Quand on hurle un peu trop fort avec les loups d’aujourd’hui, on ne fait pas  bien la preuve que l’on eût été capable de se démarquer des loups de l’époque…

 

Reste un point qui est second mais cependant très grave : il faudra tout de même s’interroger sur la communication des instances romaines lorsqu’il s’agit de sujets aussi sensibles. Après la polémique de Ratisbonne (qui mériterait elle aussi d’être démontée attentivement..), j’espère – mais je me réserve d’en parler plutôt en interne - que les responsables de la Curie vont procéder à un sérieux débriefing  sur les ratés de leur communication. Pour le dire d’un mot, voici comment j’ai vécu les choses : Mercredi 21 janvier, les milieux intégristes italiens, qui croyaient triompher, « organisent une fuite » dans « Il Giornale ». Aussitôt le tam-tam médiatique, se met en route. Mais nous, membres des conférences épiscopales, nous ne savons absolument rien ! Et pendant trois jours les nouvelles – erronées, qui parlent à longueur de journée de réintégration – prolifèrent dans tous les sens comme un feu de brousse. Tout y passe. Arrive alors la « bombe » de Mgr Williamson… Et c’est seulement samedi matin, - trois jours  trop tard ! -, que nous recevons le communiqué officiel du Cardinal RE. Comment voulez-vous que nous puissions remettre le débat sur des bases correctes ? Le Cardinal Ricard s’y est employé, de très bonne façon, mais le feu était parti, et plus personne ne pouvait alors entendre une parole raisonnable.

 

Maintenant que la poussière commence à retomber, essayons de reprendre calmement nos esprits. Comme disait ma Grand-mère : d’un mal Dieu peut faire sortir du bien. Le mal c’est que le Pape Benoît XVI a une nouvelle fois été traîné dans la boue par une majorité de grands médias, excepté, Dieu Merci, La Croix et quelques autres. Beaucoup de catholiques, et beaucoup de gens de bonne volonté, sont dans l’incompréhension et la souffrance. Mais le bien, c’est que les masques sont tombés ! Si le dialogue continue malgré tout avec les évêques de la Fraternité Saint Pie X, - sous réserve, bien sûr, qu’ils passent  la barrière maintenant levée- , le discernement pourra se faire, car tout le monde sait un peu mieux  ce qu’ils pensent les uns et les autres.

 

Pour conclure, j’ai envie de m’adresser aux fidèles catholiques qui peuvent, non sans raison, avoir le sentiment d’être un peu trahis, pour ne pas dire méprisés, en cette affaire : méditez la parabole du Fils prodigue, et prolongez-la. Si le Fils aîné, qui avait d’abord refusé d’entrer dans la fête, dit qu’il veut rentrer, allez-vous le refuser ??? Ayez suffisamment confiance en vous-mêmes et en l’Esprit qui conduit l’Eglise, et qui a aussi guidé le Concile de Vatican II, pour penser que la seule présence de ce fils aîné ne suffira pas à étouffer la fête. Donnez  à ce dernier venu un peu de temps pour s’habituer à la lumière de l’Assemblée où vous vous tenez…

 

 + Hippolyte Simon,

Archevêque de Clermont.

Vice-président de la Conférence des évêques de France

 

 

 

 

Epreuve de vérité

CLAUDE DAGENS,


 évêque d’Angoulême, membre de l’Académie française


 
L’unité de l’Église exige une vi­gilance et un combat perma­nents. Pour la simple raison qu’à longueur de siècles, cette unité est menacée par des tensions qui peuvent aller jusqu’à des ruptures, à des schismes, surtout si ces ten­sions sont liées à des conceptions antagonistes du mystère de la foi. Face à ces tensions et à ces ruptu­res, le pape, en tant qu’évêque de Rome, a la responsabilité de garan­tir et de défendre cette unité fon­dée sur la foi catholique reçue des Apôtres. Benoît XVI vient d’exercer cette responsabilité en levant les excommunications concernant les quatre évêques ordonnés à Écône en 1988 par Mgr Marcel Lefebvre. Pour ceux qui ont été témoins de cette rupture et qui en ont souffert, comme pour ceux qui sont aujourd’hui témoins de cette volonté de réconciliation de la part du pape, il doit être clair que ces événements ne peuvent pas être interprétés de façon superficielle, selon un simple jeu de rapports de forces ou d’idées. Il s’agit de la vérité de l’Église et de son unité réelle, qui font appel à ce qu’il y a d’essentiel dans l’identité catholique : la parti­cipation au mystère du Christ, qui désire inlassablement « réunir les enfants de Dieu dispersés » .


  Raison de plus pour comprendre que cet acte de réconciliation ouvre sur une épreuve de vérité, aussi bien pour ceux que l’on appelle des intégristes que pour les fidèles qui vivent de façon ordinaire dans la communion de l’Église.


  Le pape a voulu ouvrir une porte, tendre la main. Comment cette porte sera-t-elle franchie ? Com­ment la main tendue sera-t-elle accueillie? Au prix de quelles conversions intérieures le dialogue sera-t-il renoué ? Quand je parle de conversions intérieures, je pense à des personnes dont la mémoire est parfois encombrée par des ressen­timents ou des peurs qui ne seront pas facilement surmontés. Mais il faut aller au-delà de ces sentiments. Je pense aussi à certaines revendi­cations intégristes dans le domaine de la liturgie, du respect des rites et des règles. En deçà de ces reven­dications, on perçoit quelquefois d’autres insistances théologiques autour du mystère du mal et du sa­lut, avec une vision très négative du monde et de l’humanité, comme si le manichéisme avait raison et qu’il fallait opposer le camp des bons et le camp des méchants, dans le domaine politique comme dans le domaine religieux.


  Ce n’est plus la liturgie qui est alors en question, ni la théologie de l’Église, c’est la vérité même du Dieu Sauveur et son action à l’intérieur de notre humanité blessée. L’épreuve de vérité porte sur le cœur même du mystère de la foi. Un grand travail de compré­hension est dès lors nécessaire, qui exige une pédagogie d’approfondis­sement théologique et spirituel. Il faut souhaiter que ce travail soit possible.
  La décision prise par Benoît XVI est aussi une épreuve de vérité pour nous, évêques, prêtres, fidèles laïcs, qui adhérons sans hésiter à la Tra­dition catholique et estimons que Vatican II s’inscrit intégralement à l’intérieur de cette Tradition : il me semblerait difficile de distinguer ce qui, dans les constitutions et dé­crets du Concile, serait conforme à la Tradition et ce qui ne le serait pas. Comment ne pas reconnaître que ce Concile a été authenti­quement théologique, et non pas pastoral comme on l’a dit parfois pour le dévaluer, et que de grands théologiens français, nourris de la Tradition catholique, comme Henri de Lubac, Jean Daniélou et Yves Congar ont été intimement associés à son travail ?


  On comprendrait mal que, pour revenir à la Tradition, on renonce, fût-ce partiellement, au Concile, surtout si l’on laissait entendre que, depuis cinquante ans, l’Église catholique aurait plus ou moins fait fausse route. Mais si la main ten­due aux intégristes nous obligeait à un examen de conscience sur le chemin parcouru par l’Église, il ne faudrait pas le regretter. Nous ne pourrions pas nier que la mise en œuvre du Concile s’est par­fois référée, de façon naïve, à un principe d’ouverture au monde qui a pu provoquer chez certains comme un aplatissement de la foi. Et quand les renouveaux annon­cés se réduisaient à des réformes de structures, ils ne pouvaient pas répondre à ce qui était espéré.


  L’heure n’est plus à ces facilités et à ces illusions. Les difficultés de la mission chrétienne sont aujourd’hui trop évidentes. Qu’el­les proviennent des résistances de la culture ambiante ou de l’affai­blissement des institutions catholi­ques, elles nous conduisent à vivre le mystère de l’Église de l’intérieur de notre foi au Christ, elle-même inséparable du témoignage rendu à la charité du Christ.


  C’est pourquoi nous ne pouvons pas accepter les discours nous soupçonnant de pratiquer des stratégies de rupture, alors que nous avons de plus en plus ré­concilié, dans la vie ordinaire des communautés chrétiennes, la vie sacramentelle et la vie fraternelle, le culte et la mission. Ce sont les grandes affirmations de Vatican II qui nous ont encouragés à ces con­versions, surtout quand il s’agit de comprendre l’Église non comme un système que l’on façonnerait à sa guise ou selon ses préférences cultu­relles ou politiques, mais comme étant «dans le Christ, comme le sacrement, c’est-à-dire le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain »  ( Lumen gentium n. 1).


  Pour les années qui viennent, l’important n’est pas d’infléchir ou de relativiser le Concile, mais de le comprendre et de le mettre en œuvre comme un appel à aller à la source, selon le désir du bienheu­reux Jean XXIII et selon ce principe de développement organique que Benoît XVI met si fortement en valeur. De Jean XXIII à Benoît XVI, l’unité de l’Église passe par ce dé­veloppement, qui n’exclut pas les tensions et les crises, mais permet de les assumer et de les dépasser sans ruptures.

 
 Au prix de quelles conversions intérieures le dialogue sera-t-il renoué ?

 

La Croix 03 février 2009

 



[1] Lors de l’audience générale du mercredi 28 janvier 2009, le pape a rappelé que la Shoah "doit être pour tous un avertissement. On ne saurait l'oublier, la nier ou la redimensionner, d'autant que la violence contre un seul être humain est une  violence contre l'humanité entière". Rappelant la présente commémoration de l'Holocauste, Benoît XVI a dit que dans le seul camp d'Auschwitz, qu'il a visité en juin 2006, "s'est accomplie l'extermination de millions de juifs, victimes d'une haine raciale et religieuse aveugle".
"Renouvelant avec affection ma totale et indiscutable solidarité envers nos frères destinataires de la Première Alliance, j'espère que le souvenir de la Shoah pousse l'humanité à méditer sur l'imprévisible puissance du mal lorsqu'il a conquit le cœur de l'homme... La Shoah enseigne à tous, et aux jeunes en particulier, que seul une patiente poursuite de l'écoute et du dialogue, de l'amour et du pardon, peut conduire peuples, cultures et religions vers la fraternité et la paix dans la vérité" que nous attendons tous. "Que jamais plus la violence n'humilie la dignité humaine!" a conclu le pape.

[2] Lors de cette même audience, le pape a déclaré : « J'espère que mon geste [en direction des quatre évêques concernés]sera suivi par leur ferme engagement d'accomplir le chemin encore nécessaire pour réaliser leur pleine communion dans l'Eglise, afin de témoigner d'une authentique fidélité et d'une véritable reconnaissance du magistère comme de l'autorité du Pape et du Concile Vatican II".

[3] Il suffit de lire le communiqué officiel du Cardinal Ricard, Archevêque de Bordeaux , qui suit ces questions pour notre Conférence : « La levée de l’excommunication n’est pas une fin mais le début d’un processus de dialogue. Elle ne règle pas deux questions fondamentales : la structure juridique de la Fraternité Saint Pie X dans l’Eglise et un accord sur les questions dogmatiques et ecclésiologiques. Mais elle ouvre un chemin à parcourir ensemble. Ce chemin sera sans doute long. Il demandera meilleure connaissance mutuelle et estime. » Cf. Site Internet du diocèse de Clermont.

 

[4]  Pourquoi j’obéis au Pape, Le Monde, 13 Juillet 2007.