La Croix Samedi 12 avril 2008
L’Eglise et les
divorcés, des pistes pour avancer
Depuis plus
de quinze ans, le P. Guy de Lachaux, du diocèse d’Évry, s’engage pour améliorer
l’accueil des personnes divorcées dans l’Église catholique. Son dernier livre
en témoigne
C’est un
appel que le P. Guy de Lachaux lance à son Église. Appel que ce prêtre du
diocèse d’Évry a mûri depuis plus de quinze ans en accompagnant des personnes
séparées, divorcées, et divorcées remariées. Dans son dernier ouvrage, Accueillir
les divorcés. L’Évangile nous presse (1), il invite les communautés chrétiennes
à se laisser toucher par la souffrance de ceux qui traversent l’échec de leur
couple. « Le divorce pose des questions bien réelles, face auxquelles il est
difficile d’accepter que les réponses actuelles soient vraiment conformes à la
volonté du Christ , plaide-t-il. C’est pourquoi il faut être réaliste :
les divorcés lancent un défi à l’Église. »
Ce prêtre
l’avoue avec simplicité, il a appris la « souffrance humaine » auprès des divorcés. «J’ai honte
aujourd’hui de le dire, je ne pensais pas que le divorce pouvait engendrer une
telle douleur, reconnaît-il. Je crois même avoir rarement vu des gens
autant souffrir. » Sans jeter la pierre à son Église, « qui a beaucoup
progressé dans la prise en compte de cette question depuis une quinzaine
d’années » , il pointe la « nécessité » , « l’urgence » d’une
mobilisation.
« Dans
l’Église, nous parlons beaucoup d’accueil et nous avons raison, souligne-t-il. Mais combien de fois
ai-je reçu des personnes qui disaient avoir eu l’impression de se faire éconduire.
» Méconnaissance de leur situation, gêne, discours ambigu et variable
selon les diocèses et les paroisses compliquent la chose… Partageant son
expérience, le P. de Lachaux propose ici un parcours sous forme de fiches
pratiques pour un accueil adapté. Chacune marque une étape dans un chemin de
reconstruction: «Exprimer sa souffrance et l’apprivoiser», « Changer son regard
», « Se sentir coupable», «Lâcher prise», «Se découvrir autre », « Pardonner,
se pardonner »…
Yves Lecorre,
diacre chargé de l’accompagnement des personnes divorcées dans le diocèse de
Nanterre (Hauts-de-Seine), rend hommage à ce travail patient. «Guy de
Lachaux est un témoin privilégié de ce que vivent les divorcés, par le nombre
de rencontres et la finesse d’analyse qu’il a de ce vécu, témoigne-t-il. En
ce sens, il est différent de tous ceux qui, dans l’Église, n’ont pas encore
fait ce voyage avec la douleur des gens. » Médiateur familial de
profession, ce diacre déplore que beaucoup de catholiques restent prisonniers
de certaines images au sujet du divorce : « Certains ont le fantasme que le
divorce est une gâterie que l’on s’offre quand on a envie de changer de
partenaire. Ce que j’entends au contraire, dans mes consultations, c’est
l’incroyable processus de remise en cause et de destruction que le divorce peut
engendrer et la menace de destruction qu’il fait peser sur les personnes. »
Cette
souffrance, Denis, 50 ans, l’a traversée. Après dix-huit ans de mariage, sa
femme a demandé le divorce en 2002. Le couple s’est séparé l’année suivante.
Il a alors entamé une lente reconstruction, avec l’aide d’un groupe relais «
Chrétiens divorcés » et Cana-Espérance. Au long de ce parcours, il a rencontré
Catherine, elle aussi divorcée, qui est devenue sa compagne. «Le ciel m’est
tombé sur la tête quand j’ai appris que je ne pourrais plus, selon les règles
de l’Église, approcher des sacrements parce je vivais une nouvelle union,
raconte-t-il. Pourtant j’ai beaucoup cheminé depuis mon divorce, je suis
beaucoup plus croyant et pratiquant… » Cinq ans après son divorce, Denis
cherche encore sa «juste place» dans la communauté chrétienne: « La
miséricorde, je la trouve auprès de Dieu. Mais auprès de l’Église ce n’est pas
toujours facile… »
L’incompréhension,
parfois la révolte, devant les règles canoniques, Guy de Lachaux les a
entendues. Dans son livre, il propose d’ouvrir la possibilité d’une
réintégration sacramentelle des divorcés remariés. Pas de n’importe quelle manière,
mais après un cheminement humain et spirituel au bout duquel ce prêtre pense
que l’on pourrait prendre «acte qu’une nouvelle union ne peut pas incarner à
vie une infidélité au sacrement de mariage et donc couper de tout acte sacramentel
». Dans le sillage de Mgr Armand Le Bourgeois et de Mgr JeanCharles
Thomas – qui a préfacé son ouvrage –, le P. de Lachaux plaide pour que la
pratique de l’orthodoxie, qui n’a jamais été condamnée du côté catholique, soit
examinée. Celle-ci prévoit, sous certaines conditions, la possibilité de bénir
une deuxième voire une troisième union (lire ci-contre) .
Christine et Guy Point, membres de la communauté Mission de France et
animateurs de son atelier de réflexion sur les divorcés, réagissent
positivement à ces propositions. Pour Guy, la situation actuelle, où l’on
renvoie la personne divorcée et remariée à sa «conscience éclairée »
pour décider si elle peut ou non approcher des sacrements, n’est «pas
suffisante pour lever le poids de la culpabilisation ». Christine ajoute :
« Ce que nous voudrions, c’est que soit officialisé ce qui se fait aujourd’hui
sous le manteau dans l’accueil des divorcés remariés. »
Pour Yves
Lecorre, l’Église en viendra à de telles solutions, avec le temps. Mais la
question demeure complexe : « Les évêques sont devant un paysage de plus en
plus contrasté, en tension entre d’un côté ceux qui ne veulent rien bouger et
de l’autre ceux qui célèbrent des quasi-remariages. J’admire le courage de Guy
de Lachaux et sa lucidité. Il prend le risque d’aller de l’avant. Mais comment
aider les évêques à faire l’unité et à exercer leur rôle de miséricorde, je ne
vois pas très bien… »
Sortir de la
logique du tout ou rien semble être le désir de nombreux chrétiens. Pour Yves
Lecorre, la demande des divorcés remariés a d’ailleurs, elle aussi, évolué avec
le temps. « Il y a une dizaine d’années, ils demandaient à l’Église de
déclarer que leur premier mariage ne valait rien et que seul le second était le
vrai. Aujourd’hui, ils lui disent: “J’ai été marié, c’est un échec douloureux,
mais ne me fermez pas la porte à une présence dans le peuple chrétien par des
règles que je ne comprends pas.” »
Ces
propositions conduiront-elles à des débats, des échanges, voire à des
changements ? Le P. Guy de Lachaux se veut confiant, «optimiste» même :
« Les communautés chrétiennes sont beaucoup plus sensibilisées à ce sujet
aujourd’hui, mais l’augmentation du nombre des divorcés rend pressante
l’urgence de l’accueil.» Et de rappeler que tous les synodes diocésains ont
évoqué la question des divorcés et demandé que la position catholique soit
revisitée. «Les choses bougent et dans le bon sens, conclut-il. Derrière
la rigidité de façade de la hiérarchie, je sens chez les évêques une réflexion,
un désir de trouver des solutions. »
Élodie Maurot
ENTRETIEN
P. Michel Legrain, spécialiste de morale et de droit
canonique
« Oser se remarier civilement pourrait être lu
comme un acte de courage et d’espérance »
Pour ce religieux spiritain, l’Église pourrait renouer avec une pratique
ancienne de reconnaissance du mariage civil
L’Église est aujourd’hui partagée entre deux principes : l’appel à la fidélité
dans le mariage et la miséricorde envers les divorcés remariés. Comment sortir
de cette conflictualité ?
P.MICHEL LEGRAIN: Il faut remonter en amont et réfléchir à la manière dont
on propose le sacrement de mariage. Notre problème est que, depuis le XIII e
siècle, l’Église est persuadée qu’en dehors du sacrement de mariage, aucune
vie sexuelle n’est honnête entre deux baptisés. Pour l’Église catholique, la
licéité de la vie sexuelle ne peut se faire qu’en mariage sacramentel. C’est
aujourd’hui un énorme problème pour tous ceux qui sont engagés dans la préparation
au mariage. Car beaucoup de couples, quand ils sont loyaux, reconnaissent que
ce n’est pas le sacrement qu’ils demandent. Or, nous n’avons rien d’autre à
leur offrir, alors qu’ils n’en demandent pas tant ! Ils souhaitent simplement
qu’on les accueille, que l’on prie avec eux, qu’on les bénisse. Il faudrait
réfléchir à une reconnaissance du mariage civil, même si je sais que cela
suscite des résistances. Lors d’une conférence, quelqu’un m’a répondu : «
Vous n’allez quand même pas bénir des gens qui ne sont pas mariés ! »
Pourtant, dans nos campagnes, on bénit bien des tracteurs et des vaches…
Pourquoi pas les gens qui s’aiment ?
Faut-il alors repenser le cheminement vers le sacrement de mariage ?
Il n’y aura pas de solution à la question des divorcés, et notamment des
divorcés remariés, aussi longtemps que l’on n’aura pas l’humilité de
reconnaître que nous n’avons plus d’emprise globalisante sur l’ensemble de la
vie des baptisés : nous ne sommes plus dans un régime de chrétienté. Saint
Paul a raison de dire que le baptisé en Christ est appelé à se marier dans le
Christ. Mais si des personnes baptisées n’ont plus envie d’être mariées dans le
Christ, qu’on respecte leur mariage humain ! Que l’Église catholique
reconnaisse, comme elle l’a fait pendant dix siècles, l’honnêteté du mariage
qui se fait selon les traditions. On ne devrait confier le ministère de la
conjugalité qu’à des personnes qui sont suffisamment volontaires. Il ne s’agit
pas de rigidifier des classes de mariage ou des hiérarchies sacramentelles,
mais de dire ce que l’on fait et d’accepter la diversité des cheminements et
des situations.
Quelles seraient les conséquences pour les divorcés remariés ?
Canoniquement, ce qui bloque l’accès des divorcés remariés aux sacrements, ce
n’est pas le remariage, mais le fait de vivre des relations sexuelles non
licites aux yeux de l’Église, car hors mariage sacramentel. Pourtant, l’Église
pourrait reconnaître la valeur d’une nouvelle union, comme c’est le cas dans
les Églises orthodoxes ou protestantes. Dans un contexte culturel comme le
nôtre, où le concubinage est facilement accepté, le fait de se remarier civilement
pourrait être lu comme un acte de courage et d’espérance dans ses capacités
amoureuses personnelles et dans celles de la personne que l’on rencontre. Ces
chrétiens qui se remarient civilement reconnaissent leur premier échec, mais
veulent essayer de faire du durable, du stable. Il y a un aspect de nouvelle
fidélité que l’Église pourrait reconnaître.
Beaucoup de divorcés s’interrogent sur leur place dans l’Église. Que leur
diriez-vous ?
Je renverrais la question aux communautés chrétiennes. C’est à elles de donner
une juste place aux personnes séparées et divorcées, sans se décharger sur la
hiérarchie. L’opinion publique ecclésiale a un poids énorme sur la hiérarchie.
Parfois, on me pose la question : « Chez nous, un divorcé donne la communion
ou fait les lectures durant la messe. Est-ce conforme à la règle de l’Église ?
» Je suggère alors que la communauté se réunisse, réfléchisse et propose.
Qu’elle tienne compte de la loi de l’Église, car, si la hiérarchie n’est pas
tout, elle n’est pas rien non plus. Il faut aussi arrêter de se comporter comme
des petits garçons et des petites filles. Je constate que, quand on amène les
gens à réfléchir et qu’on leur explique les choses, on trouve des solutions
équilibrées et respectueuses.
Et que répondez-vous à ceux qui craignent le laxisme ?
Si Jésus avait eu cette attitude vis-à-vis des personnes qui n’étaient pas en
règle, jamais il n’aurait annoncé une Bonne Nouvelle. Ces personnes sont des
pauvres : avoir raté, c’est toujours un échec. On ne peut pas se contenter
d’une condescendance. Il faut dire que l’Évangile est une Bonne Nouvelle
offerte à tous, quelle que soit la situation, socialement inquiétante ou dommageable.
Il faut toujours essayer de comprendre, aider à cheminer vers un amour plus
adulte. Cela ne veut pas dire qu’il faille tout confondre. Il ne faudrait pas
qu’après un temps de fortes hiérarchisations, on tombe dans le nivellement.
RECUEILLI par E.M
L’Eglise orthodoxe
applique le principe de miséricorde
En vertu de
la notion d’« économie », l’orthodoxie autorise une seconde, voire une
troisième union
Il y a quelques jours encore, le P.
Alexandre Siniakov recevait quelqu’un qui voulait devenir orthodoxe pour…
divorcer plus facilement. «Cela arrive assez souvent» , déplore le
chancelier du diocèse de Chersonèse (juridiction du patriarcat orthodoxe de
Moscou en France). C’est, aux yeux de beaucoup d’Occidentaux, un fait acquis :
l’orthodoxie accepterait le divorce. Mais cette vision est fausse car l’Église
orthodoxe, si elle applique le principe de miséricorde, ne tient pas pour
autant à remettre en cause les principes d’indissolubilité et d’unicité du
mariage sacramentel.
«L’Église ne
“reconnaît” ni n’“accorde” un divorce, expliquait le P. Jean Meyendorff. Ce dernier est considéré
comme un péché grave, mais l’Église n’a jamais cessé d’offrir une “nouvelle
chance” aux pécheurs, et elle a toujours été disposée à les accueillir à
nouveau, du moment qu’ils étaient repentants. » (1). Une seconde, voire
parfois une troisième union, est ainsi rendue possible. « On essaye d’agir
le plus fraternellement et le plus pastoralement possible, en vertu du
principe d’économie, au-delà du respect strict des règles en vigueur » ,
explique le P. Boris Bobrinskoy, délégué par son archevêque pour les questions
de divorce au sein de l’exarchat du patriarcat de Constantinople pour les
paroisses russes d’Europe occidentale.
Ce principe
d’économie, spécifique à l’Église orthodoxe – où il n’a toutefois jamais été
officiellement défini –, se veut une image de la miséricorde divine. On peut
le définir comme « la suspension d’une application absolue et stricte des
directives canoniques et ecclésiastiques dans la direction et dans la vie de
l’Église, sans que soient compromises pour autant les limites imposées
par le droit » . C’est pourquoi « un deuxième ou un troisième mariage
sera donc toujours une déviation par rapport à l’“idéal” d’un mariage unique »
, souvent une nouvelle chance pour « corriger une faute» , explique
l’évêque Athénagoras (Peckstadt), auxiliaire de l’archevêché orthodoxe de Belgique.
La cérémonie, marquée par des prières de pénitence, n’est pas une célébration
de mariage, mais une simple bénédiction de la nouvelle union. Les époux ne
portent pas les couronnes traditionnelles, symboles de la gloire du Royaume.
Concrètement,
les époux qui souhaitent se séparer pour contracter une seconde union doivent
présenter un dossier à leur évêque afin d’expliquer leur cas. « Cela se
passe relativement vite, indique le P. Bobrinskoy. Mais il faut faire
attention aux cas de malveillance entre époux. S’il le faut, je les reçois pour
approfondir le sujet avec eux. » En France, le nombre de dossiers traités
reste relativement faible : un ou deux par an pour l’archevêché des paroisses
russes, quatre ou cinq pour le diocèse de Chersonèse.
« Je pense
que beaucoup d’orthodoxes en France ne font pas appel à l’Église et se
contentent du divorce civil» , estime le P. Siniakov, qui signale que les demandes sont
nettement plus nombreuses en Russie où près de 60 % des mariages se soldent
par un divorce. « Les fidèles russes ne sont pas très au courant des règles
en la matière, explique-t-il. Ils croient qu’il est d’autant plus facile
de divorcer que, pendant l’époque soviétique, l’Église a été plutôt laxiste
sur ce sujet. » Dans de nombreux diocèses de Russie, ce sont les curés et
non l’évêque lui-même qui gèrent directement ces questions. « Et on en
arrive à de graves abus, comme l’histoire de cette femme qui a expliqué à la
télévision qu’elle avait pu se marier quatre fois à l’église ! » , relève
le P. Siniakov. D’où de fréquents rappels à l’ordre du Patriarcat de Moscou,
qui a décidé d’être plus vigilant sur ce sujet.
NICOLAS SENÈZE
(1) Le Mariage dans la perspective orthodoxe, Éd. Œil/YMCA Press,
170 p.
Peut-on communier quand on est divorcé-remarié ?
En partenariat avec Croire aujourd'hui,
la réponse plein d'humanité de Mgr Jean-Charles Thomas qui propose aux divorcés
remariés un chemin de vérité, en vue d’une vraie décision de conscience.
Une personne victime du divorce (abandonnée par son conjoint), qui a refait sa
vie en se remariant, est à présent heureuse en couple. Elle avoue communier
régulièrement. Mais elle est très culpabilisée de transgresser les interdits de
l’Église.
Je
suis pasteur, voilà ce que je peux lui dire :
C'est à Dieu qu’appartient le jugement final sur nos choix. Dès à présent,
essayez de croire qu’il porte sur vous le seul regard à la fois objectif,
complet, juste et plein de compassion. Lui seul vous connaît à fond, évalue
votre part de responsabilité dans l’histoire de votre premier couple. Prenez le
temps de lire lentement, pour le méditer, ce que saint Jean écrivait aux
chrétiens (voir 1 Jean 2,1-2 et 3,18-23). Cette lecture méditée activera le
niveau profond de votre âme. Demandez à l’Esprit Saint de vous rendre
totalement disponible à ce qu’Il veut vous faire comprendre.
Méditez ensuite sur le comportement et les paroles de Jésus à la Samaritaine
(elle vivait avec un cinquième mari), aux pharisiens sollicitant la
condamnation de la femme adultère, à ceux qui demandaient dans quelle mesure
l’homme pouvait répudier sa femme, à Simon qui s’étonnait de voir Jésus
accepter l’attitude de la femme pécheresse (voir Jean 4, 16-30 ;8, 1-11 ;
Matthieu 19, 1-12 ; Luc 7, 36-50.). Donnez tout son poids au principe par
lequel Jésus justifie cette proximité avec les pécheurs : Je ne suis pas venu
appeler les justes, mais les pécheurs. Nous accordons du crédit aux paroles de
l’Église. Avons-nous donné à la Parole du Fils de Dieu tout le poids qu’elle
mérite ? Pour un chrétien, l’Autorité de Dieu doit toujours l’emporter sur les
autorités humaines, y compris religieuses.
En mon âme et
conscience
Lisons maintenant
quelques affirmations officielles de notre Église. « L’être humain doit
toujours obéir au jugement certain de sa conscience. S’il agissait délibérément
contre ce dernier, il se condamnerait lui-même » (Catéchisme de l’Église
catholique n° 1790). « Dans la formation de la conscience, la Parole de Dieu
est la lumière sur notre route » (CEC n° 1785). « Au fond de sa conscience,
l’homme découvre la présence d’une loi qu’il ne s’est pas donnée lui-même…
inscrite par Dieu au coeur de l’homme ; sa dignité est de lui obéir, et c’est
elle qui le jugera. La conscience est le centre le plus secret de l’homme,
le sanctuaire où il est seul avec Dieu ». Ces phrases furent votées par plus de
deux mille évêques lors du concile Vatican II (« Gaudium et spes », n° 16).
Leur autorité ne peut être contestée.
Malheureusement,
nous préférons parfois une réponse simple, formulée par un homme d’Église, à
une réflexion plus exigeante menée en notre âme et conscience. Serait-ce par
peur de nous tromper ? Ou de céder à une certaine complaisance ? Les êtres
humains sont ainsi faits : ils pensent généralement qu’une réponse dure,
exigeante, est plus conforme à la pensée de Dieu. Si nous appliquions cette
règle aux réponses de Jésus, nous devrions dire que sa miséricorde déformait la
pensée de son Père. Or Jésus était la Vérité même. Il se montrait sévère avec
ceux qui exigeaient des autres une rigueur qu’ils ne s’appliquaient pas à
eux-mêmes (Matthieu 23). Il voulait faire reconnaître que Dieu se comporte en
Père, que sa priorité n’est pas de juger mais d’aider et de sauver avec
tendresse. Et Jésus a vécu comme son Père le désirait. Fidèlement.
Mon premier
mariage était-il valide ?
L’Église romaine
s’efforce d’aider les époux à porter un jugement éclairé sur la validité de
leur mariage. S’ils se séparent ou divorcent (selon la loi civile), elle les
invite à faire « juger » la validité de leur engagement par six juges (trois en
première instance du tribunal ecclésiastique, et trois en seconde instance). Si
les deux instances estiment que l’engagement formulé « à l’église » fut
invalide, l’Église accepte de bénir le nouveau mariage que chaque époux peut
contracter. Elle n’annule pas le premier lien, elle estime qu’il ne fut pas
valide. Or, ce recours aux tribunaux ecclésiastiques nécessite enquêtes,
témoignages, retour sur un passé qui ravive des plaies au coeur des époux et
pose de rudes questions aux enfants nés de ce mariage. Il prend plusieurs
années et occasionne des frais. Aussi beaucoup hésitent-ils à choisir
cette voie. Il ne manque pas d’époux pour penser, en leur âme et
conscience, que leur mariage fut invalide, même sans l’avoir soumis au jugement
d’un tribunal ecclésiastique. Ils se privent de son aide, ce qui est dommage.
Ils restent seuls dans l’analyse de leur passé, oscillant parfois en
conscience, ce qui n’est pas confortable et les fait souffrir. Beaucoup d’époux
ayant divorcé se trouvent dans cette situation. Des groupes de réflexion sont
alors indispensables pour permettre leur libre expression sur leur premier lien
conjugal. Agréés par l’autorité ecclésiale locale, ils deviennent un lieu de
vérité, de soutien et de reconstruction après la blessure d’un divorce.
L’Église
orthodoxe propose un temps de conversion
Autre limite, et de
taille. L’Église romaine examine la validité des mariages seulement au moment
où ils furent contractés. Elle s’interdit de faire un discernement sur un
mariage estimé valide à l’origine, mais devenu par la suite un enfer pour l’un
ou l’autre des époux, au point de rendre indispensable une séparation
définitive. Multiples peuvent être les raisons : accident, maladie
imprévisible, évolution psychique régressive de l’un des époux, violence, alcool,
drogue, etc. Nombreux demeurent les cas où la bonne volonté et le courage d’un
époux ne suffisent pas à éviter la séparation ou le divorce.
L’Église orthodoxe,
elle, se risque à aider les époux lorsque le couple s’est écroulé, s’est
séparé, a divorcé. Elle reconnaît que les humains peuvent commettre des erreurs
et qu’il n’est pas évangélique de les abandonner à un jugement négatif, en les
laissant définitivement dans une situation invivable. Elle propose un temps de
réflexion, de reconnaissance des torts que chacun a pu avoir. Elle invite à une
sorte de conversion avant d’accepter de bénir le mariage de personnes qui
furent amenées à divorcer.
Telle est la
perspective que j’ai proposée dès 1991 aux époux abandonnés ou contraints au
divorce qui, par la suite, ont contracté mariage. L’Église romaine ne la
propose pas, à la différence de l’Église orthodoxe. Aussi l’ai-je présentée
comme une « décision de conscience » et non comme une solution agréée par
l’Église romaine. Cependant, qui sait si elle ne l’acceptera pas un jour,
notamment si la communion renaît entre les Églises chrétiennes ?
Pour une vraie
décision
Pour l’élaborer, le
divorcé remarié doit donc se questionner devant Dieu, principalement sur les
points suivants :
1. Est-ce que je
cherche à vivre la foi chrétienne de plus en plus profondément, notamment
depuis mon nouveau mariage ?
2. Le couple que je
forme actuellement est-il stabilisé depuis un temps notable (dix ans),
paisible, vivant sous le regard du Seigneur avec espoir fondé de durer dans la
fidélité ?
3. Ai-je essayé de
faire la clarté sur la validité de mon premier mariage ?
4. Ai-je reconnu
loyalement mes torts dans le déroulement puis l’effondrement de mon couple ? Suis-je
allé jusqu’à solliciter le pardon de mon conjoint ou des enfants que mon
attitude aurait pu blesser ?
5. Ai-je lutté pour
ne pas entretenir et manifester une attitude agressive envers mon conjoint, ou
sa famille, ou les enfants, ou les représentants de l’Église ?
6. Ai-je dialogué
avec des chrétiens sur les questions de conscience posées par mon divorce et
mon remariage civil ? Cette recherche de dialogue m’a-t-elle fourni des
éléments de discernement spirituel ayant apaisé « mon état d’âme » ? Suis-je
actuellement dans une certaine paix intérieure depuis que j’ai choisi de
communier quand je participe à l’eucharistie ?
Si vous répondez positivement à ces questions, je ne suis pas seul à penser que
vous vivez dans une attitude loyale envers Dieu. Vous pouvez estimer que vous
êtes en paix avec Lui et en harmonie avec l’enseignement du Christ, le Juge de
tous les humains. Il vous aime et vous demeurez en lui.
Mgr Jean
- Charles Thomas,ancien évêque d'Ajaccio et de Versailles
Jean-François CHIRON, professeur à l’Université catholique
de Lyon
Les
débats qui ont marqué le Synode invitent à revenir sur les raisons théologiques
du refus qu’oppose officiellement l’Église catholique à la communion
eucharistique des divorcés remariés.
La
réponse habituelle évoque une contradiction entre le statut des divorcés
remariés et l’alliance irrévocable conclue par le Christ avec son Église, dont
l’Eucharistie est le signe. Comme l’a écrit Jean-Paul II : les
divorcés remariés « se
sont rendus eux-mêmes incapables d’y être admis car leur état et leur condition
de vie est en contradiction objective avec la communion d’amour entre le Christ
et l’Église, telle qu’elle s’exprime et est rendue présente dans
l’Eucharistie »(Familiaris consortio, n° 84).
Cette
affirmation doit être bien comprise. Car un remariage civil n’a pas d’effets
sur le lien sacramentel qui a été noué auparavant: aux yeux du magistère
catholique, il ne s’agit que d’une forme d’entrée en concubinage. Un mariage
civil conclu avant le mariage religieux n’est d’ailleurs pas davantage pris en
considération par l’Église: des catholiques mariés seulement civilement peuvent
sans problèmes se marier religieusement après leur divorce, même s’ils ont des
enfants; rien de matrimonial n’est supposé avoir existé.
Or
on sait que la communion redevient possible pour des divorcés remariés s’ils
vivent dans la continence (cf. le n° 1650 du Catéchisme de l’Église
catholique). Seuls
sont donc visés par l’interdit ecclésial les couples ayant des relations
sexuelles – sinon, même les divorcés remariés continents seraient privés
d’accès à l’Eucharistie. Ce qui est problématique n’est donc pas la
ratification purement civile d’une nouvelle union, puisqu’elle est sans effet
sur le lien sacramentel; c’est la dimension sexuée du nouvel état.
On
est donc fondé à estimer que la raison de l’opposition du magistère à la
communion eucharistique des divorcés remariés relève (simplement, si l’on peut
dire) de la morale sexuelle. Ce n’est pas l’état de divorcé remarié civilement
« comme tel » qui est contradictoire avec ce dont l’Eucharistie est
le signe, c’est ce qu’il comporte normalement: les rapports sexuels
« illégitimes ». Ils ne peuvent être sacramentellement pardonnés, et
donc empêchent la communion eucharistique. Alors que des divorcés remariés
vivant dans la continence mettent fin à la situation de péché qui est la leur,
et c’est cela qui compte.
Le
magistère catholique considère que toute relation sexuelle hors mariage
sacramentel est « intrinsèquement
désordonnée », indépendamment de tout contexte et de toute
circonstance. Or la situation de couples divorcés remariés désirant vivre une
relation stable et fidèle (ce qu’indique précisément leur remariage civil)
est-elle comparable à celle de personnes trompant leur conjoint, ou se livrant
à une forme de « vagabondage sexuel » ? Ou même à une relation
sexuelle occasionnelle hors mariage? Tous les actes (sexuels) ici évoqués
sont-ils à mettre sur le même registre, à considérer comme également immoraux
et donc interdisant, au même titre, l’accès à l’Eucharistie? On comprend aussi
que des couples refusent de voir réduit au seul registre génital, quelle que
soit son importance anthropologique, ce qu’ils s’efforcent de reconstruire avec
la grâce de Dieu: de vraies valeurs y sont engagées, ce que nul dans l’Église
ne saurait contester. Rappelons enfin le principe énoncé par le pape François: « L’Eucharistie, même si elle
constitue la plénitude de la vie sacramentelle, n’est pas un prix destiné aux
parfaits, mais un généreux remède et un aliment pour les faibles » (Evangelii gaudium,
n° 47).
C’est
la définition d’un acte humain, et donc d’un acte sexuel, qui est ici en cause:
dans quelle mesure le contexte et les circonstances doivent-ils être pris en
compte dans sa définition, et donc son évaluation éthique? Il faut aussi se
demander si une appréciation pastorale a sa place dans l’évaluation de la
moralité d’un acte. Envisager ces perspectives impliquerait que le magistère
catholique soit prêt à quelques déplacements, comme l’a souligné l’évêque
d’Anvers, Mgr Bonny: jusqu’à quel point est-il légitime, pour aborder ces
questions, de privilégier une seule école de théologie morale?
Il
n’était pas anodin à cet égard que le pape François cite dans Evangelii gaudium (n° 44) la formule du Catéchisme de l’Église catholique rappelant que « l’imputabilité et la
responsabilité d’une action peuvent être diminuées voire supprimées » par des « facteurs psychiques ou
sociaux » ; si le paragraphe du projet de document synodal
citant ce même passage à propos des divorcés remariés n’a pas obtenu la
majorité qualifiée, il apparaît bien que la majorité de l’Assemblée synodale a
considéré qu’un tel rappel était important.
On
perçoit l’ampleur de la réflexion à laquelle sont appelés les évêques, s’ils
souhaitent vraiment prendre en compte la racine des problèmes. Du moins est-il possible
d’estimer que le dogme de l’indissolubilité du lien matrimonial n’est pas en
cause dans le débat qui s’est ouvert suite à l’intervention du cardinal Kasper,
mandaté par le pape François. C’est la dimension éthique, inséparable d’une
approche pastorale, qui est au cœur de cette question, comme de toutes celles
débattues à Rome.
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