La messe, c’est aussi en semaine
La Croix Samedi 23-Dimanche 24/04/2016
Sur le
parvis de l’église Saint-François-Xavier, dans le 7e arrondissement
à Paris, les fidèles ne tardent pas. « Je dois retourner travailler,
explique Dorgelès, employé dans un centre de remise en forme du quartier. Je
prie souvent le soir, seul, mais participer à la messe durant la pause de midi
me permet d’entrer en lien direct avec le Christ, à travers l’eucharistie, et
d’être uni à la communauté. Par chance, mon patron est croyant. Même s’il est
d’une autre confession chrétienne, cela le rend compréhensif et je peux adapter
mes horaires », reprend le jeune homme de 21 ans.
Aller
à la messe en semaine ne va pas de soi pour de nombreux croyants dans la mesure
où il existe une différence de statut entre la messe dominicale et les autres. «
C’est un jeudi que le Christ a demandé qu’on rompe le pain en sa mémoire, mais
c’est un dimanche qu’il est ressuscité, note le P. Luc Forestier, directeur
de l’Institut d’études religieuses de l’Institut catholique de Paris et prêtre
de l’Oratoire. Le dimanche, les chrétiens se rassemblent donc pour se
souvenir de leur baptême : ce n’est pas un hasard si le “credo” n’est pas
récité les autres jours. » Historiquement, c’est notamment le développement
des messes pour les défunts, le jour anniversaire du décès, qui a entraîné
celui des offices de semaine. « Cette pratique reste étrangère à la plupart
des Églises protestantes et orthodoxes et, même dans l’Église catholique, les
messes de semaine ne sont pas obligatoires, contrairement aux rendez-vous
dominicaux. Mais elles sont recommandées aux prêtres et dans certaines familles
de religieux et de religieuses », ajoute le P. Forestier.
En
semaine, les célébrations sont plus dépouillées que le week-end : elles
se déroulent souvent dans le chœur ou dans une chapelle annexe, durent moins
longtemps et l’usage de l’encens et la luminosité sont réduits. « Mais ce
sont de belles messes où le plus important demeure : l’eucharistie et la
lecture de la parole », veut souligner Sylviane Ziegler, retraitée de 77
ans, insistant sur les deux motivations principales qui conduisent les fidèles
à se rendre à la messe en dehors du dimanche. En réalité, cette habitante
d’Orschwihr (Haut-Rhin) ne fait pas de distinction car la participation à
l’eucharistie a toujours été naturelle pour elle. « J’ai été élevée dans une
famille très pratiquante et celle que nous avons créée avec mon mari l’était
tout autant. À leur tour, mes enfants vont à la messe dès qu’ils le peuvent. »
En
revanche, dans la famille de Marie-Françoise, psychologue à la retraite de 65
ans, personne n’allait à la messe en semaine. « J’ai commencé à y participer
dès que j’ai pris au sérieux ma vie de chrétienne, quand j’étais lycéenne »,
se souvient-elle. Un accès au mystère eucharistique qui lui est tout aussi
essentiel que les groupes de réflexion théologique qu’elle anime. « Notre
foi, ce n’est pas de la magie : il faut la creuser, la penser. Mais
l’eucharistie nous amène aux limites de la réflexion intellectuelle pure, selon
laquelle un bout de pain reste un bout de pain. À partir de là, soit tu as une
révélation, soit tu dois choisir d’y croire. Moi je n’ai pas eu de révélation
et, à 25 ans, je ne suis plus allée à la messe pendant quinze jours. Puis j’ai
compris que la foi est une décision et la mienne a été de dire : “Oui, j’y
crois.” L’eucharistie n’empêche pas le questionnement mais elle nous conduit à
l’essentiel, dans l’humilité, vers celui qui est le chemin, la vérité et la
vie. C’est pour cela que j’y vais régulièrement. » Pour Marie-Françoise,
bénévole en soins palliatifs, sa fréquentation des offices de la semaine est
ancrée dans son quotidien puisqu’elle ne manque pas de prier pour les malades
qu’elle va visiter à l’hôpital. « Quand je suis en voiture, je récite le
chapelet pour eux et durant la prière eucharistique, je les nomme. Ce qui fait
la différence ? Pendant la messe, ils font partie du sacrifice eucharistique.
Pour moi, ça permet de leur offrir cette dimension de rédemption. »
Plus
encore que le dimanche, la messe en semaine nécessite souvent un effort
d’organisation pour trouver une place dans un emploi du temps chargé. Isabelle
Rochette de Lempdes, professeur de langue parisienne de 61 ans, reconnaît que
les circonstances l’ont favorisée. « Parce que l’école maternelle de mes enfants
était située en face d’une église, j’ai commencé à aller à la messe de 8 h 30 à
cette époque, juste après les avoir déposés. Je ressentais depuis longtemps ce
besoin de ressourcement spirituel dans ma journée, la proximité des deux
bâtiments n’a été qu’un élément déclencheur. » Comme elle donne désormais
des cours le matin, Isabelle se rend aux offices du soir. Elle évoque le besoin
d’« une rencontre directe, personnelle avec le Christ, plus proche qu’une
simple prière », devenu vital pour elle. « Lorsque j’ai des réunions
parents-professeur le soir, je change de paroisse pour y aller le matin à 6 h
30. Et quand je pars en vacances à la campagne, je fais souvent 20 km de
voiture pour trouver une célébration »,reprend-elle.
Pour
ceux qui vivent toute l’année en milieu rural, l’organisation est différente et
il est difficile d’aller à un office tous les jours. « Quand je sors du
travail assez tôt, je vais régulièrement à la messe du mercredi soir à Orschwihr
pour communier et me nourrir de la Parole. Mais le reste de la semaine,
l’office est célébré dans les autres villages de la communauté de paroisses, et
je ne peux pas y aller », raconte Damien Ziegler, ouvrier viticole de 44
ans, sacristain et fils de Sylviane. Même obstacle pour Angèle Gestin, éducatrice
de 59 ans à la communauté de l’Arche La Rebellerie, dans le
Maine-et-Loire : « Il n’y a pas de messe à moins de 10 km. Or, m’y
rendre impose des frais supplémentaires de transport, que je ne peux prendre en
charge », explique-t-elle. Mais, depuis cinq ans, la communauté accueille
des prêtres en temps sabbatique et Angèle Gestin les rejoint régulièrement
lorsqu’ils célèbrent la messe sur son lieu de travail. « Je le vis comme un
moment de ressourcement et de communion avec ceux que je confie à Dieu dans ma
prière », précise-t-elle. Une habitude qu’elle a prise à l’Arche, mais,
assure-t-elle, dont elle aurait aussi besoin si elle devait un jour travailler
ailleurs.
Samuel Bleynie