La fête est une activité humaine importante, indispensable, essentielle même puisqu'elle témoigne
que l'homme, par nature et par construction, est un être social et religieux.
L'homme, ce perpétuel inquiet, a toujours un œil tourné vers son semblable et
un autre tourné vers le ciel.
La fête est, pour lui, un
temps consacré privilégié où il peut à la fois oublier les misères du
quotidien, s'approcher du divin, en profiter pour se ressourcer, partager la
force du voisin, vivre hors du temps une petite parcelle d'éternité, une courte
évasion du profane vers le sacré.
L'homme est forcément un
être festif: il a besoin de la fête pour mieux vivre les difficultés de sa
condition. Oublier la charge de ses travaux quotidiens. Interroger le passé.
Tenter d'éclairer l'avenir. Gommer la perspective de la mort. Mais aussi rechercher l'extase,
goûter à l'interdit, piétiner les tabous, s'offrir le luxe de transgresser
les lois en toute impunité...
Il y a de tout cela dans la
fête, et le pire peut vite y côtoyer le meilleur.
Il n'y a pas de définition
idéale de la fête, car c'est un composé mixte entre une cérémonie et une récréation,
du sérieux et du récréatif, du construit et de l'improvisé.
D'abord, on se réunit pour
vivre ensemble un rituel institué en vue de la célébration symbolique d'un acte
fondateur, d'un homme légendaire ou mythique, d'un événement inaugural: c'est
le but premier, le prétexte.
Ensuite, et à l'opposé
pourrait-on dire, ce moment est choisi justement hors du temps profane des
activités quotidiennes pour en faire un instant d'oubli, de détente et de
convivialité, sans tabous et sans règles, où les conventions tombent, ainsi que
les barrières et les inhibitions, afin que chacun s'imagine pouvoir dire librement
tous ses rêves et ses fantasmes.
Il n'y a pas de recette
pour réussir une fête. Entre les deux modes d'expression, le dosage est
subtil.
Trop de cérémonie, trop de
symboles à expliquer, et c'est le rituel qui domine. La fête devient une
liturgie complexe, un exercice d'école donné par un groupe de spécialistes à un
public devenu passif. Ce n'est plus une fête, mais un spectacle, un festival.
Le rassemblement festif n'est pas un groupe de spectateurs.
Trop de divertissement, de
désordre et d'exubérance, et tout le monde oublie le motif qui unissait le
groupe au départ. Les motivations personnelles prennent le dessus. Chacun se
préoccupe plus des moyens employés pour se distraire que des fins poursuivies:
la musique, la danse et ses rythmes, la boisson, la drogue, le chahut, la provocation
et les rixes tuent l'ambiance conviviale des débuts. Le groupe se dissout et la
fête dégénère. Le rassemblement festif, n'est pas un groupe d'individus en
quête d'aventures personnelles dans un défoulement orgiaque.
Un rôle social et religieux
Tous les rassemblements
festifs, depuis la nuit des temps, ont des fonctions sociales qui les lient à
l'histoire des peuples et des civilisations.
Dans les sociétés
primitives très dépendantes des caprices de la nature, la fête est le moyen de revivre
périodiquement les événements créateurs du monde qui se sont déroulés dans les
temps originels. Pendant la fête, l'homme d'aujourd'hui, comme celui d'hier,
rejoint dans le temps des origines les divinités protectrices et mime leurs
actes exemplaires. C'est le spectacle qui était périodiquement présenté au
peuple d'Israël en exil, au moment des festivités du Nouvel An babylonien. Ces
fêtes polythéistes agressaient la foi au Dieu unique des Israélites et
inquiétaient assez les prêtres pour les inciter à écrire le premier récit sacerdotal de la Genèse et montrer
la Création comme l'organisation du tohu-bohu originel pour le bien de
l'homme. Toutes les civilisations ont leur récit des origines et la fête qui
correspond.
La fête de l'homme social
et religieux se situe toujours à la jonction symbolique du temps linéaire
historique de l'individu qui conduit inexorablement à la mort, et du temps
cyclique de la nature, du temps cosmique, qui annonce toujours un
renouvellement, une renaissance.
Le calendrier des fêtes se
réfère aux rythmes lunaire ou solaire. Les pasteurs nomades, qui conduisent
leurs troupeaux dans de longues migrations sous un ciel étoilé qui les guide,
préfèrent le rythme lunaire. Les cultivateurs sédentaires observent les rythmes
solaires, les équinoxes et les solstices qui déterminent les saisons agricoles.
Leurs fêtes sont des
réjouissances qui disent déjà quelque chose de la mort et de la résurrection,
au milieu des cultes rendus aux dieux de la fécondité.
Les rites festifs des
premières civilisations ont survécu, se sont transformés et ont intégré
d'autres contextes. Le plus sûr moyen d'effacer les anciens rites païens était de leur donner
d'autres significations, au prix de quelques transferts symboliques.
Ceci est tout particulièrement
vrai pour la compréhension des fêtes pascales, qui tirent leurs origines d'une
fête primitive de printemps des agriculteurs cananéens célébrant le renouveau
de la nature, puis ensuite du sacrifice de l'agneau qui, pour les nomades
pasteurs, fait symboliquement renaître la vie à partir de la mort et ensuite rappelle le passage de la
mer Rouge, la renaissance, le retour à la vie après l'esclavage en Égypte.
Les fêtes disent ainsi
l'histoire dans toutes les religions: Pentecôte, sept semaines après Pessah (Pâques),
est la fête les récoltes, mais aussi le don de la Torah au mont Sinaï; Soukkoth,
ou fête des Tentes, fête des moissons, évoque les quarante ans d'errance au
désert, quand Yaveh nourrissait son peuple de la manne. Trois fêtes de
pèlerinage, auxquelles il faut ajouter les jours austères de Rosh-ha-Schana,
le nouvel an, le Jour du jugement où, au son du schofar (la corne),
on rend ses comptes à Yaveh, et Yom Kippour, la plus solennelle, la fête
du grand Pardon.
Les fêtes musulmanes commémorent
toutes les étapes essentielles de la vie du prophète Mahomet.
Les principales fêtes
chrétiennes ont repris en partie la symbolique juive pour y superposer la commémoration
des événements historiques de la vie du Christ, dans le cycle liturgique qui,
partant de Noël, nous conduit au Triduum pascal, à l'Ascension et à la
Pentecôte. Le don de l'Esprit ouvre le temps de l'Église qui égrène au fil des
jours les fêtes du Sanctoral, jusqu'à la fête de tous les saints qui précède le
jour des morts.
Il ne faudrait pas oublier,
dans un calendrier aussi chargé, que la fête idéale, que nous n'arrivions pas à
définir, existe bel et bien pour les chrétiens. C'est tout simplement le
premier jour de la semaine, le dimanche. Il s'agit bien d'un rassemblement
d'appelés, invités à commémorer un événement historique fondateur qui est un
sacrement et un mémorial. Plus qu'un symbole et bien plus qu'un souvenir
simplement évoqué : un geste sauveur rendu présent et "qui fait ce qu'il
dit". Que la cérémonie et la liturgie soient vraiment une fête et pas un
spectacle exige beaucoup de participation fervente, beaucoup de foi priante et
d'engagement: c'est le vœu que l'on peut faire en pensant à nos communautés
dominicales qui souvent ne portent pas témoignage évident de la joie et de
l'ambiance festive qui devraient les animer un jour de résurrection !
Dans un monde
déchristianisé et sécularisé qui se passe très facilement de toutes références
divines, il est intéressant de constater que les fêtes laïques, républicaines
et autres s'ajoutent aux fêtes religieuses sans les supprimer et que, au nom
d'une laïcité ouverte et de la liberté des cultes à qui on trouve tout à coup
toutes les vertus, le citoyen cumule allégrement les jours chômés, sans trop
réfléchir à qui ou à quoi il doit cette générosité.
Déchristianisé ne veut pas dire en panne de rêve et
d'évasion, bien au contraire. Notre monde a grand besoin de divertissement et a
une propension énorme à se créer des idoles et à monter de grandes messes, des
rassemblements immenses qui débutent dans la communion et la ferveur de
milliers de fans autour d'une personnalité ou d'un ensemble qui maîtrisent bien
les feux de la rampe et les décibels des sonos déchaînées. Ces rave parties et
ces "Wood stock" se terminent dans des excès incontrôlables, qui
montrent bien que si l'homme a besoin de la fête pour se construire, pour faire
société et pour prier, il peut aussi l'utiliser pour contester l'ordre, pour en
faire la tribune des malheureux, des incompris ou des délaissés.
La fête donne la
température d'une société puisqu'elle en mesure la fièvre: une société en bonne
santé fait toujours de belles fêtes bien réussies! .
Guy Villaros
Nouvel essor –
n°221 Décembre 2006
La fête est redevenue d’actualité chez les chrétiens. De
beaucoup d’endroits se lève une réflexion sur la fête, qui en souligne la
spontanéité, l’aspect communautaire, le rôle du lieu de partage. « La
danse est un jeu, la danse est un cri, la danse est une prière, c’est un moyen
de sortir de soi. Les gens ne dansent plus parce que notre civilisation a
exacerbé la notion du moi… Constamment on se trouve englué dans les problèmes
de son moi : l’agressivité, la violence exacerbent le moi ; il y a
moi et les autres, il y moi et le monde, il y a moi et Dieu » (Maurice
Béjart). Ce que Béjart dit de la danse, beaucoup l’entendent à la fête ;
une occasion de se désengluer de la réalité, de soi-même mais aussi du monde.
Car le regain d’attention à la fête est franchement contestation d’un monde
trop organisé et bureaucratique, et vraie conception de l’Esprit qui souffle où
il veut… et se joue des idéologies.
Cela dit, les chrétiens ont une longue tradition de
composition avec la fête. Il y a dans la fête une manière de dire ses espoirs
et d’exorciser ses peurs, d’installer un univers différents où les faiblesses
de ce monde sont dépassées, de chanter la vie plus forte que tous les
malheurs : tout cela ne peut que concorder avec la vision chrétienne du
monde.
Pourtant, dans l’histoire, beaucoup de chrétiens – et
spécialement des pasteurs – se sont levés pour lutter contre les excès et les
abus des fêtes. Sans doute y avait-il souvent dans leur attitude une réaction
conservatrice(la fête met toujours en cause l’ordre traditionnel) à l’égard
d’une société dans laquelle ils avaient leurs place. Il y avait souvent ainsi
contestation de certains excès nuisibles de la fête et des dépenses sans
proportion qu’elle pouvait entraîner.
Mais de toute façon, tout chrétien sait que le Christ a
accompli ce renversement des valeurs que souhaite toute fête. Avec lui les
aveugles voient… et les morts ressuscitent. Bien plus, toute la vie – et pas
seulement un aspect séparé de la vie quotidienne comme la fête – peut chanter
ce renversement des valeurs. Bref, le Christ est celui qui assume tous les
espoirs et les angoisses de l’homme, et la fête en change de sens. Elle n’est
plus évasion, mais joie d’une victoire déjà certaine, toutefois encore à conquérir.
Théo
p.909
L’Eglise célèbre le mystère pascal , en vertu d’une
Tradition apostolique qui remonte au jour même de la résurrection du Christ,
chaque huitième jour, qui est nommé à bon droit le jour du Seigneur, ou dimanche.
Ce jour-là, en effet, les fidèles doivent se rassembler pour que, entendant la
parole de Dieu et participant à l’Eucharistie, ils se souviennent de la
passion, de la résurrection et de la gloire du Seigneur jésus, et rendant grâce
à Dieu qui les « a régénérés pour
une vivante espérance par la résurrection de Jésus-Christ d’entre les
morts » (1 Pierre 1,3). Aussi, le jour dominical est-il le jour de fête
primordial qu’il faut proposer et inculquer à la piété des fidèles, de sorte
qu’il devienne aussi jour de joie et de cessation du travail. Les autres
célébrations, à moins qu’elles ne soient véritablement de la plus haute
importance, ne doivent pas l’emporter sur lui, car il est le fondement et le
noyau de toute l’année liturgique.
On orientera les esprits des fidèles avant tout vers les
fêtes du Seigneur, par lesquelles se célèbrent pendant l’année les mystères du
salut… En célébrant ce cycle annuel des mystères du Christ, la sainte Eglise
vénère avec un amour particulier la bienheureuse Marie, mère de Dieu qui est
unie à son Fils dans l’œuvre salutaire par un lien indissoluble ; en
Marie, l’Eglise admire et exalte le fruit le plus excellent de la
Rédemption et, comme dans une image
très pure, elle contemple avec joie ce qu’elle-même désire et espère être tout
entière.
En outre, l’Eglise a introduit dans le cycle annuel les
mémoires des martyrs et des autres saints qui, élevés à la perfection par la
grâce multiforme de Dieu et ayant déjà obtenu possession du salut éternel,
chantent à Dieu dans le ciel une louange parfaite et intercèdent pour nous.
Concile
Vatican II - SL § 103-108