Table des matières

 

Testament de Jean XXIII

Comment le concile Vatican Il a commencé

 

La dynastie de Dieu

 

Depuis près de deux mille ans, les papes se succèdent sans disconti­nuer. Etrange dynastie où jamais le fils n'a hérité du père, même si certaines familles italiennes ont fourni plusieurs papes.

Au cours des siècles, la primauté que Jésus lui-même a donnée à Pierre, sera souvent contestée. D'où une multitude de schismes et d'hérésies qui ont déchiré sans fin « la tunique sans couture » du crucifié. Successeur du prince des apôtres, vicaire de Jésus Christ, serviteur des serviteurs de Dieu, le pape est pontifex maximus -littéra­lement « le plus grand bâtisseur de ponts ».

Dans la Rome antique, ce titre dési­gnait le plus haut prêtre de la religion païen­ne. C'est qu'au fil des siècles, jusqu'au concile Vatican Il, inauguré voilà juste cin­quante ans, et plus récemment avec l'ac­tion libératrice de Jean-Paul Il, l'institution pontificale n'a jamais cessé de jeter des passerelles entre l'histoire et l'éternité.

 

Comment le concile Vatican Il a commencé

 

Il y a un demi-siècle débutait le lie concile œcuménique du Vatican, voulu par un pon­tife âgé, dont on avait cru qu'il ne serait qu'un pape de transition. En réalité, c'est grâce à Angelo Giuseppe Roncalli, devenu Jean XXIII, que l'Eglise romaine s'ouvrira au monde moderne et à la culture contem­poraine, même si lui-même ne verra pas l'achèvement de son œuvre. 

 

Rome, le dimanche 25 janvier 1959.

 

Le pape Jean XXIII clôture la tradition­nelle Semaine de prière pour l'unité des chrétiens, à la basilique Saint-Paul hors les Murs. Après la cérémonie, le souverain pontife réunit au premier étage, dans la salle du chapitre des moines bénédictins, les dix-sept cardinaux présents. Lesquels ne savent pas que le ciel va leur tomber sur la tête: « Vénérables frères et chers fils ... »

Jean XXIII a été élu 90 jours plus tôt. Rien ne laisse penser que cette courte allocu­tion va prendre place dans l'histoire. Pour­tant les représentants du Sacré Collège lèvent les yeux, incré­dules, lorsque le « bon pape Jean » annonce ­non sans avouer un « tremblement d'émo­tion » - trois décisions majeures:

- La mise à jour du code de droit canon;

- Un synode pour le diocèse de Rome;

- et un concile œcuménique pour l'Eglise universelle.

 

Un concile! Une assemblée réunis­sant tous les évêques du monde, comme en 1870 lors du concile précédent, le dixneu­vième en dix-neuf siècles de chrétienté: le concile dit « du Vatican ». Mais pour quoi faire? L'objectif du pape, à la fois simplissi­me et très ambitieux, est, « dans cette époque de rénovation, de clarifier la pen­sée, resserrer l'unité religieuse, raviver la ferveur chrétienne ». Un mot résume le tout, un mot italien qui fera florès: l'Eglise doit faire son aggionamento, sa « mise à jour »

Le vieux pape confiera plus tard à son secrétaire, Loris Capovilla, qu'il a été déconcerté par la «stupeur» qui saisit les cardinaux. Il s'attendait à être entouré, féli­cité par eux, peut être critiqué. Son dis­cours, au contraire, est salué par un silence pesant. Pas un mot, pas un applaudisse­ment. Les cardinaux restent bouche bée. Ils comprennent vite qu'il ne s'agit pas d'un vœu pieux, mais d'une décision aux conséquences incalculables.

Qui pou­vait s'attendre à une initiative aussi sensa­tionnelle de la part d'Angelo Roncalli, un personnage si peu exceptionnel? Fils d'un simple paysan italien de Bergame, devenu diplomate par hasard, longtemps en poste à Istanbul, nommé par Pie XII nonce apostolique à Paris dans les années d'après guerre, le patriarche de Venise a été élu au siège de saint Pierre un peu par défaut, à l'âge de 77 ans, en octobre 1958, pour succéder au « grand pape» Pie XII. Pour les observa­teurs, comme pour ses pairs, il est considéré comme un « pape de transition ». Le brave Jean XXIII sera tout sauf un révolutionnaire!

C'est pourtant lui qui provoque l'évé­nement le plus important de l'histoire de l'Eglise contemporaine. La nouvelle fait le tour du monde en quelques heures. Elle va susciter une avalanche de réactions, par­fois très positives, notamment en Europe du Nord, en Allemagne, au Canada, en France. A Paris, le journal La Croix titre le lendemain: « Un geste de tranquille auda­ce. » Curieusement, plus on descend dans la hiérarchie ecclésiale et plus on est enthousiaste.

A Rome, en revanche, c'est la per­plexité qui domine. On chercherait en vain, aujourd'hui, la réaction de l'Osservatore Romano. Le journal officiel du Saint Siège n'a pas publié l'intervention de Jean XXIII à Saint-Paul hors les Murs, se contentant d'un communiqué de la secrétairerie d'Etat. Ni le lendemain, ni dans les jours qui suivent, le quotidien du Vatican ne fait men­tion du futur concile. Même discrétion dans la très influente revue Civilta cattolica, fleu­ron de la Compagnie de Jésus, qui fait l'im­passe sur le texte du pape, et ne consacre­ra au concile, pendant toute l'année 1959, qu'une simple « revue de presse» dans son numéro d'avril! Même à propos du volet « œcuménique» du projet de Jean XXIII, qui paraîtra plus tard si évident, et qui provoque aussitôt un grand intérêt chez nombre de responsables protestants et orthodoxes, la Curie fait le gros dos. Du côté du Saint Office, bastion de la résistan­ce, on s'emploie même à enfermer la formi­dable intuition du pape dans un étroit corset de bureaucratie et de dogmatisme. Le théologien Yves Congar, fin observateur, note dans son Journal du concile: «On a l'impression qu'à Rome toute une équipe s'applique à saboter le projet du pape!»

Jean XXIII suit tout cela de près. Il n'est pas aveugle. Il est immédiate­ment alerté quand « quelque manœuvre mesquine se trame dans son dos », comme dit son ami le cardi­nal Franz Konig. Il voit se dessiner, de plus en plus clairement, le cli­vage entre les partisans de l'adaptation de l'Eglise au monde moderne et les tenants du conservatisme, lesquels rédigent les «schémas» provisoires en y biffant avec constance toute innovation suspecte. Le pape répète cependant, sur tous les tons, qu'il est optimiste et qu'il a confiance.

Le 19 juin 1962, Jean XXIII suit avec inquiétude l'affrontement dramatique qui oppose, dans le cadre de la commission centrale, les deux porteurs de schémas radicalement incompatibles sur le sujet de la liberté religieuse: les cardinaux Ottavia­ni et Bea, s'invectivant debout, comme dans un parlement! Jean XXIII entend ne pas peser sur les débats conciliaires. Mais il voit bien que le concile risque fort d'être une assemblée docile sans autre fonction que d'entériner tout ce que la Curie aura doctement programmé.

Un fait nouveau, intime, va intervenir. Le 23 septembre 1962, Jean XXIII termine sa retraite spirituelle dans l'oratoire de la tour Saint-Jean, à deux pas du palais apos­tolique, quand son médecin personnel demande à le voir. Dans le plus grand secret, le vieux pontife a fait procéder à quelques analyses médicales. Le résultat de ces tests est sans appel. . Atteint d'un cancer de l'esto­mac et de la prostate, il est condamné à brève échéan­ce. Il ne verra pas la fin du concile. Il n'a plus rien à perdre. Le pape Roncalli s'as­soit alors à sa table de travail, au troisième étage du palais apostolique, et commence à rédiger le discours qu'il pro­noncera le 11 octobre, jour de l'inauguration du concile dans la basilique Saint-Pierre. Il le fera d'une traite, sans aide, sans notes, et sans collaborateur, sauf un abbé qui assure la traduction du texte en latin. C'est « avec la farine de son propre sac », comme il dit, que Jean XXIII explique que le concile doit permettre à l'Eglise de « se consacrer résolument et sans crainte à l'œuvre que réclame notre époque ». Il fustige les «prophètes de mal­heur» et affirme que l'Eglise « préfère recourir au remède de la miséricorde plutôt que brandir les armes de la sévérité! »

Délibérément, « il papa buono : le bon pape Jean », fait céder toutes les digues érigées pendant des mois par les conser­vateurs de la Curie, et projette résolument les catholiques dans l'avenir. Ce jour-là, c'est l'Eglise tout entière qui bascu­le dans l'inconnu....

Bernard Lecomte Recherche réalisée par Jocelyne Genton

Extraits Point de vue N'13 sept. 2012

Hors série Les Papes