Benoît XVI discute l'interprétation de Vatican II
Dans
ses vœux de Noël aux cardinaux de la curie, le pape a critiqué les fondements
du courant de pensée qui se revendique de «l’esprit du concile Vatican II»
Lors de son homélie de clôture du
conclave, le 20 avril dernier, le pape qui venait d’être élu avait placé la
mise en œuvre du concile Vatican II au cœur de son « programme » pontifical.
Hier, devant les cardinaux de curie, pour la traditionnelle présentation des
vœux de Noël, il a, pour la première fois, clairement et longuement explicité
dans quel sens devait se faire cette mise en œuvre. Benoît XVI s’est en effet
livré à une réflexion sur l’année passée, marquée, a-t-il dit, par le souvenir
de Jean-Paul II, les Journées mondiales de la jeunesse à Cologne, et le Synode.
Mais c’est sur l’anniversaire des quarante ans de la conclusion du Concile,
dernier événement de l’année fêté le 8 décembre, qu’il a choisi de revenir avec
force.
Le premier constat est sous forme d’interrogation : « Qu’est-ce qui, dans la
réception du Concile, a été bien fait, qu’est-ce qui est resté insuffisant, et
où s’est-on trompé ? » Le pape, qui fut lui-même l’un des acteurs de ce
concile, comme jeune théologien, répond en opposant deux conceptions du
Concile, deux interprétations – ou « herméneutiques » – différentes. L’une, qui
voudrait que le Concile marque une rupture dans l’histoire de l’Église. L’autre
conception, défendue ici par Benoît XVI, est celle qui voit dans Vatican II une
« réforme », un « renouveau dans la continuité ». Il n’y a pas, souligne donc
Benoît XVI, d’un côté l’esprit du Concile, et de l’autre, les textes, dont la
prudence s’expliquerait par le souci des Pères conciliaires d’aboutir à un
compromis. Non, pour le pape actuel, qui reprend la citation de Jean XXIII, «
le Concile veut transmettre pure et intègre la doctrine, sans atténuation ni
altérations ».
C’est donc dans cette perspective de la continuité que Benoît XVI éclaire le
type de rapport que l’Église doit entretenir avec le monde, rapport sur lequel
Vatican II a posé un regard nouveau. Certes, admet-il, le devoir d’exprimer
dans un monde nouveau une vérité déterminée exige une nouvelle réflexion sur
cette vérité. Mais, la question du rapport entre l’Église et son époque est
ancienne, explique-t-il, et elle a débuté sur un mode problématique avec le
procès de Galilée.
Liberté
religieuse
Les
choses ont ensuite évolué, la modernité elle-même a connu ses propres
développements, et, remarque-t-il, les deux parties (modernité et religion) «
ont commencé progressivement à s’ouvrir l’une à l’autre » : « Dans la période
entre les deux guerres mondiales, et plus encore après la Seconde Guerre
mondiale, des hommes d’État catholiques ont démontré qu’il pouvait exister un
État moderne laïque, et qui cependant n’était pas neutre au regard des valeurs,
mais puisait dans les grands principes éthiques mis en place par le
christianisme. » Il en est de même de la notion de liberté religieuse,
proclamée par Vatican II, mais qui, fondée sur la vérité de l’homme, fait en
réalité partie « du patrimoine plus profond de l’Église ».
Ainsi, le Concile, avec une nouvelle définition du rapport entre la foi de
l’Église et certains éléments essentiels de la pensée moderne, donne-t-il une
apparence de discontinuité. Mais en réalité, l’Église a, par-là, « maintenu et
approfondi sa nature intime et sa profonde identité ». C’est avec cette grille
qu’il faut, ajoute encore Benoît XVI, comprendre le fameux « oui » de Paul VI
au monde moderne, et aux « signes des temps » : « Ceux qui attendaient avec ce
‘‘oui’’ fondamental à l’époque moderne que toutes les tensions disparaissent,
et que l’ouverture au monde se transforme en une pure harmonie », ont sous
évalué, prévient-il, « les tensions intérieures et aussi les contradictions de
cette époque moderne ».
Dans notre temps aussi, explique en effet Benoît XVI en bon disciple de saint
Augustin, « l’Église reste un signe de contradiction ». « Il ne pouvait pas
être dans l’intention du Concile d’abolir cette contradiction de l’Évangile
dans sa confrontation aux dangers et aux erreurs de l’homme », soutient-il
encore.
"Renoncer à
la solidarité trop euphorique qui a suivi le Concile"
«
Vatican II avait raison de souhaiter une refonte des rapports entre l’Église et
le monde. Toutefois, ces deux réalités ne peuvent se rencontrer sans conflit,
ni, a fortiori, se confondre, écrivait déjà le cardinal Ratzinger en 1984.
Parmi les devoirs les plus urgents pour le chrétien, il y a la réappropriation
de sa capacité à réagir face à de nombreuses tendances de la culture
environnante, à renoncer à la solidarité trop euphorique qui a suivi le
Concile. »
Une manière, donc, pour Benoît XVI, de situer dans quelle ligne exigeante doit
se faire la mise en œuvre de Vatican II, qu’il ne renie nullement, au contraire
: « Ainsi nous pouvons aujourd’hui avec gratitude tourner notre regard vers le
concile Vatican II. Si nous le lisons et le recevons guidés par une juste
herméneutique, il pourra être et devenir toujours plus une grande force pour le
nécessaire renouvellement de l’Église. »
Isabelle de GAULMYN, à Rome
La
Croix 15 janvier 2006