Tibère, Pilate,
Hérode, Philippe, Lysanias, Anne, Caïphe, la liste est longue des célébrités de
l'époque, qui concentraient en leurs mains l'ensemble des pouvoirs politique,
économique, religieux. Éphémère gloire : vingt siècles après, nous les avons
toutes oubliées !
Le seul personnage de ce récit, dont on parle encore aujourd'hui, c'est Jean,
le fils de Zacharie, celui qui le premier a découvert que vouloir devenir
grand, c'est servir un plus grand que soi, Jésus, Celui qui continue de
rassembler ses amis en ce dimanche, dans cette église de Saint-Joseph de la
Demi-Lune, comme devant nos téléviseurs.
J'aime ce
personnage de Jean, dit le Baptiste, figure encore trop souvent méconnue dans
nos communautés chrétiennes, et pourtant, savez-vous que son nom est celui qui
est le plus souvent cité, après celui de Pierre, dans les Évangiles, bien plus
que ceux de Marie ou des autres Apôtres ?
Sa mission
tient en une seule phrase : préparer les cœurs à la rencontre du Seigneur. Elle préfigure celle de tout chrétien. Aucun
d'entre nous ne peut avoir la prétention de faire rencontrer le Seigneur à
quiconque : notre seul rôle consiste à préparer le chemin pour que cette
rencontre soit possible.
Dix huit siècles
après, un autre homme, du nom de Jean, s'est levé dans les faubourgs de Turin,
capitale industrielle du Piémont. Il consacra sa vie à une telle mission auprès
de ces jeunes de banlieue qui, victimes d'un chômage massif, développaient,
comme dans nos quartiers sensibles d'aujourd'hui, des conduites marquées par la
violence et la déviance. Combler les ravins de l'exclusion, abaisser les
montagnes de suffisance d'une certaine bourgeoisie de l'époque, rectifier les
routes des jeunes à la dérive, tel fut le combat de Jean Bosco,
illustration parfaite des propos de Jean Baptiste.
Comment s'y
prend-il donc pour préparer le cœur de ces jeunes à la rencontre du Seigneur ?
Écoutons sa première rencontre avec un jeune paumé alors qu'un 8 décembre, il
s'apprêtait à célébrer, dans une église de Turin, la messe en l'honneur de
Marie. Entendant les cris de cet adolescent chassé violemment de l'église par
le sacristain qui ne savait voir dans ce jeune dépenaillé qu'un voleur
potentiel, il le fait amener à lui, et je cite de mémoire le dialogue :
- Mon bon ami,
comment t'appelles-tu ?
- Barthélémy Garelli.
- De quel pays
es-tu ?
- D'Asti.
- Ton père est-il
encore en vie ?
- Non, il est
mort.
- Et ta mère ?
- Morte aussi.
- Sais-tu lire et
écrire ?
- Non.
- Sais-tu chanter
?
- Non.
- Sais-tu siffler
au moins ?
La glace se rompt
alors et Jean Bosco de poursuivre l'entretien en parlant de l'amour du
Seigneur.
Oui, préparer
les chemins du Seigneur, à la manière de Jean Bosco, c'est poser un regard
d'amitié sur les jeunes si souvent montrés du doigt par la vindicte populaire. C'est se passionner pour leur monde. C'est
s'intéresser à leur histoire. C'est être convaincu que personne ne peut être
nul en tout, que chacun est porteur de talents.
Le dimanche
suivant, Barthélémy revient avec quelques copains. Un mois après, ils étaient
plusieurs dizaines. Un an après, plusieurs centaines et Don Bosco consacre sa
vie à répondre à leurs besoins : besoin de logement, pour ceux qui n'avaient
pas de toit, besoin de formation pour ceux qui étaient au chômage, besoin de
loisirs pour les désœuvrés, et surtout besoin de sens. Ainsi naquit le
Valdocco.
Alors que les
autorités italiennes ne savaient prôner que la répression et l’enfermement pour
enrayer la délinquance des mineurs, Jean Bosco mit en œuvre une pédagogie
respectueuse de la dignité de chaque enfant accueilli. À l’heure où nous
venons de fêter le vingtième anniversaire de la convention internationale des
droits de l’enfant, rappelons que ce prêtre de Turin fût un pionnier dans le
combat pour le respect de ces droits. Il développa une pédagogie de la confiance,
car ce dont les enfants et les adolescents ont le plus besoin, c’est de
rencontrer des adultes qui croient en eux ; une pédagogie de l’espérance,
car il est si difficile, quand on est enfant, de se projeter dans l’avenir
lorsque les adultes ne cessent d’idéaliser le passé et de penser le futur sous
l’angle de la catastrophe. Aussi interdisait-il à ses salésiens de gémir sur
leur temps ; une pédagogie de l’alliance, où le jeune est considéré non
pas comme destinataire, mais comme partenaire de l’action éducative. « Sans
affection, pas de confiance, sans confiance, pas d’éducation » ne
cessait-il de répéter.
Dix huit ans
après, l'œuvre ayant atteint sa majorité, se pose la question de sa pérennité.
Alors, sur les conseils du ministre de l'Intérieur pourtant connu pour ses
positions anticléricales, il songe à fonder une congrégation, la Société
Saint-François-de-Sales, constituée de religieux qui seront des citoyens
actifs en ce qui concerne l'État, une nouveauté absolue dans l'Église de ce
temps.
Un soir de décembre 1859, il invite après le souper dans sa chambre, avec son
plus proche collaborateur, seize jeunes : le plus âgé avait 24 ans, le plus
jeune seulement 15 ans ! Il les encourage, eux qui ont tant reçu de lui, à
donner à leur tour. Il leur fait découvrir que l'accueil de l'enfant en
souffrance peut devenir chemin de rencontre du Christ.
S'appuyer sur de
grands adolescents pour fonder une congrégation, c'est un exemple unique dans
l'histoire de la société et de l'Église !
150 ans après, 17
000 salésiens ouvrent aux quatre coins du monde, auprès des jeunes en
difficulté, ici au Valdocco de Lyon comme là bas, à N'Djamena, à Bombay ou à
Rio !
Porteurs
d'affection et de confiance à l'égard de ces jeunes que l'avenir désespère, ils
ne cessent de préparer les chemins du Seigneur, à la manière de Marie, qui
porte en elle Celui qu'elle veut annoncer.
Alors, à quelques semaines de Noël, en ces jours où toute la ville de Lyon se revêt de lumière pour fêter Marie, puissions-nous préparer nos cœurs à la rencontre du Seigneur, sous les traits de l'Enfant pauvre et fragile, l'Enfant de la crèche.