Jean-Marie PETITCLERC : Jean Bosco à la suite de Jean-Baptiste

06/12/2009, 2ème dimanche de l'Avent

Homélie de la messe à Tassin-la-Demi-Lune

Tibère, Pilate, Hérode, Philippe, Lysanias, Anne, Caïphe, la liste est longue des célébrités de l'époque, qui concentraient en leurs mains l'ensemble des pouvoirs politique, économique, religieux. Éphémère gloire : vingt siècles après, nous les avons toutes oubliées !
Le seul personnage de ce récit, dont on parle encore aujourd'hui, c'est Jean, le fils de Zacharie, celui qui le premier a découvert que vouloir devenir grand, c'est servir un plus grand que soi, Jésus, Celui qui continue de rassembler ses amis en ce dimanche, dans cette église de Saint-Joseph de la Demi-Lune, comme devant nos téléviseurs.

J'aime ce personnage de Jean, dit le Baptiste, figure encore trop souvent méconnue dans nos communautés chrétiennes, et pourtant, savez-vous que son nom est celui qui est le plus souvent cité, après celui de Pierre, dans les Évangiles, bien plus que ceux de Marie ou des autres Apôtres ?

Sa mission tient en une seule phrase : préparer les cœurs à la rencontre du Seigneur. Elle préfigure celle de tout chrétien. Aucun d'entre nous ne peut avoir la prétention de faire rencontrer le Seigneur à quiconque : notre seul rôle consiste à préparer le chemin pour que cette rencontre soit possible.

Dix huit siècles après, un autre homme, du nom de Jean, s'est levé dans les faubourgs de Turin, capitale industrielle du Piémont. Il consacra sa vie à une telle mission auprès de ces jeunes de banlieue qui, victimes d'un chômage massif, développaient, comme dans nos quartiers sensibles d'aujourd'hui, des conduites marquées par la violence et la déviance. Combler les ravins de l'exclusion, abaisser les montagnes de suffisance d'une certaine bourgeoisie de l'époque, rectifier les routes des jeunes à la dérive, tel fut le combat de Jean Bosco, illustration parfaite des propos de Jean Baptiste.

Comment s'y prend-il donc pour préparer le cœur de ces jeunes à la rencontre du Seigneur ? Écoutons sa première rencontre avec un jeune paumé alors qu'un 8 décembre, il s'apprêtait à célébrer, dans une église de Turin, la messe en l'honneur de Marie. Entendant les cris de cet adolescent chassé violemment de l'église par le sacristain qui ne savait voir dans ce jeune dépenaillé qu'un voleur potentiel, il le fait amener à lui, et je cite de mémoire le dialogue :

- Mon bon ami, comment t'appelles-tu ?

- Barthélémy Garelli.

- De quel pays es-tu ?

- D'Asti.

- Ton père est-il encore en vie ?

- Non, il est mort.

- Et ta mère ?

- Morte aussi.

- Sais-tu lire et écrire ?

- Non.

- Sais-tu chanter ?

- Non.

- Sais-tu siffler au moins ?

La glace se rompt alors et Jean Bosco de poursuivre l'entretien en parlant de l'amour du Seigneur.

Oui, préparer les chemins du Seigneur, à la manière de Jean Bosco, c'est poser un regard d'amitié sur les jeunes si souvent montrés du doigt par la vindicte populaire. C'est se passionner pour leur monde. C'est s'intéresser à leur histoire. C'est être convaincu que personne ne peut être nul en tout, que chacun est porteur de talents.

Le dimanche suivant, Barthélémy revient avec quelques copains. Un mois après, ils étaient plusieurs dizaines. Un an après, plusieurs centaines et Don Bosco consacre sa vie à répondre à leurs besoins : besoin de logement, pour ceux qui n'avaient pas de toit, besoin de formation pour ceux qui étaient au chômage, besoin de loisirs pour les désœuvrés, et surtout besoin de sens. Ainsi naquit le Valdocco.

Alors que les autorités italiennes ne savaient prôner que la répression et l’enfermement pour enrayer la délinquance des mineurs, Jean Bosco mit en œuvre une pédagogie respectueuse de la dignité de chaque enfant accueilli. À l’heure où nous venons de fêter le vingtième anniversaire de la convention internationale des droits de l’enfant, rappelons que ce prêtre de Turin fût un pionnier dans le combat pour le respect de ces droits. Il développa une pédagogie de la confiance, car ce dont les enfants et les adolescents ont le plus besoin, c’est de rencontrer des adultes qui croient en eux ; une pédagogie de l’espérance, car il est si difficile, quand on est enfant, de se projeter dans l’avenir lorsque les adultes ne cessent d’idéaliser le passé et de penser le futur sous l’angle de la catastrophe. Aussi interdisait-il à ses salésiens de gémir sur leur temps ; une pédagogie de l’alliance, où le jeune est considéré non pas comme destinataire, mais comme partenaire de l’action éducative. « Sans affection, pas de confiance, sans confiance, pas d’éducation » ne cessait-il de répéter.

Dix huit ans après, l'œuvre ayant atteint sa majorité, se pose la question de sa pérennité. Alors, sur les conseils du ministre de l'Intérieur pourtant connu pour ses positions anticléricales, il songe à fonder une congrégation, la Société Saint-François-de-Sales, constituée de religieux qui seront des citoyens actifs en ce qui concerne l'État, une nouveauté absolue dans l'Église de ce temps.
Un soir de décembre 1859, il invite après le souper dans sa chambre, avec son plus proche collaborateur, seize jeunes : le plus âgé avait 24 ans, le plus jeune seulement 15 ans ! Il les encourage, eux qui ont tant reçu de lui, à donner à leur tour. Il leur fait découvrir que l'accueil de l'enfant en souffrance peut devenir chemin de rencontre du Christ.

S'appuyer sur de grands adolescents pour fonder une congrégation, c'est un exemple unique dans l'histoire de la société et de l'Église !

150 ans après, 17 000 salésiens ouvrent aux quatre coins du monde, auprès des jeunes en difficulté, ici au Valdocco de Lyon comme là bas, à N'Djamena, à Bombay ou à Rio !

Porteurs d'affection et de confiance à l'égard de ces jeunes que l'avenir désespère, ils ne cessent de préparer les chemins du Seigneur, à la manière de Marie, qui porte en elle Celui qu'elle veut annoncer.

Alors, à quelques semaines de Noël, en ces jours où toute la ville de Lyon se revêt de lumière pour fêter Marie, puissions-nous préparer nos cœurs à la rencontre du Seigneur, sous les traits de l'Enfant pauvre et fragile, l'Enfant de la crèche.