Isabelle Demangeat et Gauthier Vaillant, LA CROIX le 09/09/2016 à 12h29
La mort n’est pas à chaque coin de rue. Pourtant, à
plusieurs reprises ces derniers mois, elle s’est imposée à nous d’une manière
brutale, et surtout avec une proximité que beaucoup auraient pensée impossible.
La violence aveugle des attentats, outre la détresse extrême et l’impuissance
qu’elle provoque chez les proches des victimes, renvoie aussi chacun, même
moins directement concerné, à la perspective de sa propre fin.
Un
questionnement souvent vertigineux, dans une société qui a bien des difficultés
à évoquer la mort, parce que marquée par l’individualisme et la culture du
progrès technique et scientifique, dans laquelle certains veulent même voir la
promesse de l’immortalité. Le P. Laurent Stalla-Bourdillon, curé de la
paroisse Sainte-Clotilde à Paris, ose même le mot de « tabou ». « La Bible nous enseigne
la récurrence de l’illusion, chez l’homme, de dominer ou de posséder la vie,
alors qu’elle est toujours reçue », explique le prêtre, qui débutera en octobre un cycle de
conférences sur la mort au Collège des Bernardins. « Comme cette illusion
est détruite par la mort, alors on refuse de la voir. » Il est d’ailleurs frappé par « le décalage entre la
réalité de la mort et la manière dont on l’annonce, froidement, comme un fait
d’actualité, sans que cela suscite la moindre réflexion ».
Accepter
ses faiblesses
Quand
la mort survient violemment, « le simple fait d’exister apparaît alors comme une sorte
de miracle », relève la philosophe Françoise Dastur, auteur de La Mort, essai sur la finitude. Et c’est alors « le caractère éminemment
temporaire de notre être ici et maintenant qui devrait nous frapper. Lequel seul donne sens à notre existence, une existence portée
par et vouée à la mort », ajoute-t-elle en invitant à accueillir en soi l’idée de sa
mort comme ce « qui peut réveiller,
dans nos mentalités d’Européens repus, le sens véritable d’une existence qui ne
peut être vécue que sub specie mortis, sous le regard de la mort. » Prendre conscience de sa
finitude, en d’autres termes. Et l’accepter.
Cette
acceptation n’est pas facile, car elle demande d’abord d’accepter ses
faiblesses – dont cette limite indépassable de la mortalité – et force aussi à
regarder, en filigrane, le terme de sa propre vie. Elle apparaît pourtant
indispensable, parce qu’elle est la seule certitude commune à tous concernant
la condition humaine. Et qu’elle est le moyen, pour le chrétien, de reconnaître
que la vie n’est pas un acquis, mais uniquement « don gratuit de
Dieu »,
comme le rappelle la théologienne Marie-Jo Thiel.
« On
redécouvre ainsi que la vie ne nous appartient pas, explicite la professeur à la
faculté de théologie de Strasbourg et directrice du Centre européen
d’enseignement et de recherche en éthique (CEERE) de la même université. Que l’on est à la fois tout et à la fois rien. Que la vie est un
souffle qui peut s’éteindre à tout moment. » Et à partir du moment où l’on
prend conscience que la vie est un don, et non un dû, elle reprend toute sa
valeur. « C’est parce que la vie
a un terme qu’elle a un prix ! », fait ainsi remarquer Marie-Jo Thiel en précisant que
cette finitude intrinsèque à l’homme lui permet de prendre conscience de la
responsabilité qui lui est confiée et de la nécessité et l’urgence de faire
fructifier sa vie « et donc de suivre l’enseignement du Christ ».
« Si j’étais immortelle, je ne répondrais de rien », assure-t-elle.
C’est
ainsi que le P. Pierre-Jean Labarrière, jésuite, en vient à dire que « la qualité d’une vie se
mesure à la capacité que l’on a de penser à la mort et, plus radicalement, de
penser la mort, de l’apprivoiser en somme » (1). Il interroge ainsi : « Comment penser, en
dehors de cela, la légitimité de ces actes d’héroïsme que l’on met au crédit d’une
humanité achevée – le sacrifice éventuel de l’individualité pour une cause qui
la dépasse en même temps qu’il la constitue ? »
Prendre
conscience d’une Bonne Nouvelle annoncée
Au-delà
du prix qu’elle donne à l’existence, la mort porte aussi et surtout, pour les
chrétiens, la promesse de la résurrection. « Il n’y a pas de
résurrection sans croix », rappelle le pasteur suisse et théologien Denis Muller. La mort
est le seul moyen d’accéder à la vie éternelle et à la rencontre avec Dieu. « Si Jésus n’a pas fait
l’économie de sa Passion, assumant nos souffrances et notre mort, avant le
triomphe du matin de Pâques, et nous invite à le suivre, c’est que, désormais,
c’est le seul chemin possible de notre libération », explique le P. Michel
Hubaut, dans son ouvrage Du corps mortel au corps de lumière (2).Et
d’ajouter : « Le récit de la transfiguration nous invite à ne jamais
séparer la théologie de la croix et la théologie de la gloire. »
Prendre
conscience de sa finitude, c’est donc prendre conscience d’une Bonne Nouvelle
annoncée, celle de la rencontre finale avec Dieu. Mais comment se préparer à
cette rencontre ? Comment se préparer à la fin de son existence ?
Et comment le faire sans tomber dans le travers de l’hédonisme, ou au
contraire celui de l’apathie ou de la tétanie ? « En étant chrétien, répond tout simplement
Anne-Marie Pelletier, bibliste. En acceptant, dans le quotidien de sa vie, ces expériences qui
ont déjà une saveur de la mort, ces déceptions, ces échecs ; en acceptant
ainsi que toutes ces morts ne sont pas définitives, qu’elles ne sont pas le fin
mot de l’histoire. » Insistant sur le fait que ce n’est pas « en anticipant sa mort
qu’on se prépare à mourir », la bibliste invite alors à entrer « dans cette confiance
que toutes les expériences de mort que nous pouvons vivre au quotidien sont”
sauvables” parce que déjà sauvées dans le Christ ». Et à faire ainsi l’expérience
de sa résurrection finale par ces « petites » résurrections
terrestres.
« Chacun
de nos actes, chacune de nos options, de nos décisions est un mystère de mort à
soi-même et de résurrection, renchérit le P. Michel Hubaut. C’est chaque jour que nous
ressuscitons un peu plus, que nous devenons des vivants »,ajoute-t-il en précisant que « tout amour vécu est une promesse d’immortalité (…) Notre
transfiguration commence dans ce dynamisme de l’amour vécu qui humanise notre
moi biologique, charnel, nous fait “passer” – c’est cela vivre sa Pâque – du
moi possessif, égoïste, au don de soi. » Aimer serait donc la meilleure
préparation à sa résurrection ; et vivre, la meilleure préparation à la
mort.
Quelques livres.
Du corps mortel au corps de lumière. Fondements et signification de la
Résurrection, de Michel Hubaut, Cerf, 272 p., 24 €.
Appelés à la résurrection, de Michel Rondet, Bayard,
118 p., 16 €.
La Mort. Essai sur la finitude, de Françoise Dastur, PUF,
286 p., 26,50 €.
Une
formation.
Le
Collège des Bernardins organise, du 8 octobre au 21 janvier, dans le
cadre des Rendez-vous de l’École Cathédrale, des conférences autour de « La
mort en question ».
Animé
et dirigé par le P. Laurent Stalla-Bourdillon, curé de Sainte-Clotilde à Paris,
ce cycle de conférences – le samedi matin – propose de (ré)interroger le sens
de notre vie et le sens de notre mort. S’ouvrant par une conférence sur « la
condition mortelle de l’homme », il traverse notamment les questions de la mort
dans la Bible, l’immortalité de l’âme et la résurrection des morts, les deuils
et rites chrétiens, pour aborder « l’entrée dans le ciel ».
(1) « Mourir entre tes mains », Christus n° 184,
octobre 1999, p. 434.
(2)
Cerf, 2009, 272 p., 24 €.