« La Parole qui libère, qui guérit »

extrait de La Croix Jeudi 6 octobre 2016

Marie Balmary, lectrice de la Bible en hébreu et en grec depuis une trentaine d’années, cette psychanalyste affirme que l’écoute de la parole de l’Autre est libération de la vie de chacun.

Quand elle vous reçoit dans son cabinet de psychanalyste, Marie Balmary ne va pas forcément jusqu’à vous installer, allongé, sur le divan réservé à ses patients, mais un entretien journalistique avec elle passe par plus d’écoute de son côté que par le récit déterminé de sa propre vie. Elle prévient d’ailleurs très vite qu’elle ne souhaite pas donner de « détails biographiques précis, personnels, voire intimes, du genre âge, dates, vie familiale… Un portrait de Marie Balmary ne peut être, en conséquence, que l’évocation de sa pratique de  « clinicienne » , d’écrivain et de lectrice insatiable de la Bible « Ancien et Nouveau Testaments profondément reliés » , en hébreu et en grec anciens. Car cela fait longtemps qu’elle pratique sans exclusive, dans une et un enrichissement mutuel, dans un « rencontre » « rapport vivant bien plus qu’harmonieux » , les lectures de Freud, de Lacan, des mythes antiques et du « lIvre » . Preuve en est, parmi d’autres : la Bible et ses versions interlinéaires (1) sont bien visibles sur un rayonnage de la bibliothèque de son cabinet de consultation.

À propos de cette « alliance spirituelle » de la psychanalyse et du judéo-­christianisme, Marie Balmary s’est trouvée en quelque sorte interpellée, à la fin des années 2000. Il y eut, ainsi, une question qui lui fut posée à la fin d’une conférence, à l’aumônerie d’un hôpital : « La psychanalyse n’est­-elle pas un luxe ? ».  Et sa réponse spontanée« Vous avez raison, la psychanalyse est un luxe. Comme toute vie spirituelle. » : Il y eut aussi ce titre interrogatif d’un livre de Jean Allouch, célèbre psychanalyste lacanien, en 2007 : La psychanalyse es-t­elle un exercice spirituel ? Après mûre réflexion, Marie Balmary a répondu de la façon la plus sincère et la plus précise, sans cessation du questionnement, en 2010, à cette interpellation fondamentale, par , « un petit livre » véritable clé de voûte, sans doute, de son œuvre inclassable (2) : (Freud jusqu’à Dieu Actes Sud).

À cette occasion, la clinicienne, qui publia en 1986 son premier livre sur l’Écriture, (Grasset), se souvenait : La ! C’est peut­être le mot clé de toute la quête (elle préfère parler de ) de Marie Balmary. Confirme-­t­-elle aujourd’hui. Un séminaire de l’exégète et théologien jésuite Paul Beauchamp (1925­2001), suivi pendant trois ans, dans les années 1980, représente tout de même une ouverture à une . Mais aussi à la lecture collective, . Le Sacrifice interdit « Au tout début de mon intérêt pour la psychanalyse, au milieu des années 1970, je me demandais : quelle différence avec la direction spirituelle ? Car je voyais là deux expériences de la parole… » « parole » « recherche » « Moi, je pars de la clinique, pas de la Bible, c’est­-à-­dire de l’écoute des gens, de la parole », « manière à la fois juive et chrétienne de lire la Bible » « en petits groupes »

Plus essentiellement, cette première rencontre savante, exigeante, radicale – au sens d’aller à la du texte – des deux Testaments (3) offre à Marie Balmary la confirmation qu’elle n’avait de ce que la psychanalyse lui avait enseigné, qu’elle pouvait même , lequel fut « » pour elle. , se souvient-­elle. D’autant qu’elle avait déjà été sensibilisée à la puissance nouvelle de ce texte original par la lecture, , des premières traductions d’André Chouraqui à partir de la Bible massorétique (rabbinique), parues dans les années 1970 : L’apprentissage de l’hébreu s’était déjà imposé, dès 1979, racine « rien à renier » « concilier la lecture de la psychanalyse et celle de la Bible dans une exégèse comme celle de Paul Beauchamp » un passeur précieux « J’ai découvert l’extraordinaire richesse de l’intelligence de l’Écriture quand on la lit dans le texte original » « en petits groupes de voisins » « Là, nous avons découvert que c’était beaucoup plus fort, beaucoup plus râpeux, incarné, physique, charnel que nos traductions usuelles, lisses, rabotées, domestiquées… C’était soudain de la parole libre ! » « en milieu juif ».

Un jour, lors de l’un de ses séminaires, Jacques Lacan a dit : Dans l’assistance, Marie Balmary écrit . « La voie (ou la voix), la vérité. » « la voie, v­o­i­e » « Je regarde alors les notes de mon voisin qui avait écrit ”la voix, v­o­i­x” et je raye ma propre transcription. » 08/10/2016 3/4 Mais Lacan continue son propos : La jeune psychanalyste se dit alors : Le bonhomme ne disait­il pas aussi, parfois, avec colère : « Il y a un certain saint Jean qui a dit ça… » « Toi, mon bonhomme, ta culture chrétienne est quand même en soubassement de ton œuvre… » « » « Si vous n’interrogez pas le vrai de la Trinité, vous êtes faits comme des rats. »

La référence à l’Évangile de Jean apparaît ici comme centrale, comme un nœud qui tient fermement ensemble les voies et les vérités de la psychanalyse et de la théologie. Notamment par ses quatre premiers versets : Versets qui font écho à la Genèse, ouverture de la Bible qui souligne Marie Balmary. L’expérience clinique dit quelque chose de proche, aussi, selon elle : » « Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu. Elle était au commencement avec Dieu. Tout a été fait par elle, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans elle. En elle était la vie, et la vie était la lumière des hommes. » « est le sujet principal de trois de mes livres », « La parole peut libérer, soigner, plutôt qu’être le support de nos maux, de nos maladies. On peut arriver malade, dans l’Église, en disant : “Je crois en un Dieu sévère, culpabilisateur”, et l’Église a toujours de quoi alimenter ce genre de pensées. C’est mortifère. Mais l’Église peut aussi guérir en même temps le texte de la Bible et la personne, par de saines traductions et de vivantes transmissions. Car le plus libérateur est le plus près de la lettre.

Dès lors, la vie spirituelle est source de joie, voire de , de ici et maintenant, . Dans le dialogue initiatique qu’elle a mené avec sa nièce Sophie Legastelois, depuis l’été 2013, et qui a produit un nouveau livre(4), Marie Balmary décortique l’épisode dit de « la femme adultère », dans le chapitre 8 de l’Évangile de Jean. Elle y affirme que « », où le « » de Jésus est « ». Parole, vie, lumière… Encore un écho au prologue de l’Évangile de Jean. « gloire de l’homme » « vie éternelle » « au­-delà de l’emprise du surmoi » ce passage est un beau texte de libération Je suis la lumière du monde

 

Coup de coeur

Vous savez, des coups de cœur. Le deuxième mouvement de la de « 7e Symphonie de Beethoven, le Mont­ Saint ­Michel… Je pense cependant premièrement à une soirée à Taizé, parce que nous sommes des chanteurs, dans cette famille. C’est un lieu où nous chantons à quatre voix, sans que personne dirige. Ce n’est pas la théologie qui s’y promène, c’est le mode d’être ensemble. Le  mode de rassemblement de la musique, la polyphonie, ça me paraît une des façon d’être du Royaume des Cieux.

 

notes

(1)  Ces volumes comprennent les textes en hébreu de l’Ancien Testament (Biblia Hebraica Stuttgartensia) et en grec du Nouveau (Nestle­Aland, 28 édition 2012), une traduction interlinéaire mot à mot, ainsi que les textes de la Traduction œcuménique de la Bible (TOB, édition 2010) et de la Bible en français courant. 

(2)  Psychologie, philosophie, exégèse, théologie ? Les titres de ses principaux ouvrages témoignent de l’originalité irréductible de sa recherche : L’Homme aux statues. Freud et la faute cachée du père, Paris, Grasset, 1979 ; Le Sacrifice interdit. Freud et la Bible, Paris, Grasset, 1986 ; La Divine Origine. Dieu n’a pas créé l’homme, Paris, Grasset, 1993 ; Nous irons tous au Paradis. Le Jugement dernier en question, avec Daniel Marguerat, Paris, Albin Michel, 2012.

(3)  Paul Beauchamp est l’auteur de L’Un et l’Autre Testament (Seuil, 1977 et 1990). (4) Ouvrir le Livre. Une lecture étonnée de la Bible, Albin Michel. Sortie le 6 octobre.

 

Livres de Marie Balmary

- L’HOMME aux statues (Freud et la faute cachée du père)  Grasset 1979

- LE SACRIFICE interdit (Freud et la Bible)   Grasset 1986

- LA DIVINE ORIGINE (Diueu n’a pas créé l’homme)  Grasset 1993

 

voir aussi

www.ateliers-bible-et-psychanalyse.fr