Lumen gentium

Constitution dogmatique sur l’Eglise

 

 

La sainte Vierge et l'Eglise

53. En effet, la Vierge Marie, qui, à l'annonce de l'Ange, accueillit dans son coeur et dans son corps .le Verbe de Dieu et apporta la vie au monde, est reconnue et honorée comme la vraie Mère de Dieu et du Rédempteur. Rachetée d'une manière très sublime en considération des mérites de son Fils et unie à lui par un lien étroit et indissoluble, elle est revêtue de la fonction et de la dignité suprême de Mère du Fils de Dieu. Aussi est-elle la fille préférée du Père et le temple de l'Esprit-Saint, par le don de cette grâce suprême, elle dépasse de loin toutes les autres créatures célestes et terrestres. 

Cependant, elle est en même temps, de par sa descendance d'Adam unie à tous les hommes, qui ont besoin du salut; bien plus, elle est "vraiment Mère des membres (du Christ)... parce qu'elle a coopéré par sa charité à la naissance, dans l'Eglise, des fidèles, qui sont les membres de ce Chef" (3). Aussi est-elle encore saluée du nom de membre suréminent et tout à fait singulier de l'Eglise, de figure et de modèle admirable de l'Eglise dans la foi et dans la charité l'Eglise catholique, docile à l'Esprit-Saint, la vénère avec une piété et une affection filiale comme une mère très aimante. 

Intention du Concile

54. En conséquence, le saint Concile, au moment où il expose la doctrine relative à l'Eglise, en qui le divin Rédempteur opère le salut entend mettre soigneusement en lumière la fonction de la bienheureuse Vierge dans le mystère du Verbe incarné et du Corps mystique, et d'autre part, les devoirs des hommes rachetés envers la Vierge, Mère du Christ et mère des hommes, spécialement celle des fidèles. Il n'a pas cependant l'intention de proposer un enseignement complet au sujet de Marie, ni de dirimer des questions que le travail des théologiens n'a pas encore complètement élucidées. Aussi, gardent leurs droits les opinions qui sont librement proposées dans les écoles catholiques au sujet de celle qui, dans la sainte Eglise, tient la place la plus élevée après le Christ, et en même temps la plus proche de nous (4). 

II - RÔLE DE LA SAINTE VIERGE DANS L'ÉCONOMIE DU SALUT 

La Mère du Messie dans l'Ancien Testament

55. Les saintes Lettres de l'Ancien et du Nouveau Testament, ainsi que la vénérable Tradition, montrent, avec une clarté grandissante, le rôle de la Mère du Sauveur dans l'économie du salut et nous la mettent, pour ainsi dire, sous les yeux. Les livres de l'Ancien Testament décrivent l'histoire du salut, où lentement se prépara la venue du Christ dans le monde. Ces documents des premiers âges, selon l'intelligence qu'en a l'Église à la lumière de la révélation parfaite qui devait suivre, mettent peu à peu en une lumière toujours plus claire la figure d'une femme: la Mère du Rédempteur. C'est elle qu'on devine déjà prophétiquement présentée sons cette lumière dans la promesse, qui est faite à nos premiers parents tombés dans le péché, de la victoire sur le serpent (cf. Gen. 3, 15). Pareillement, c'est elle, la Vierge qui concevra et mettra au monde un Fils dont le nom sera Emmanuel (cf. Is. 7, 14; cf. Mich. 5, 2-3; Mt. 1, 22-23). Elle est au premier rang de ces humbles et de ces pauvres du Seigneur qui attendent le salut avec confiance, et reçoivent de lui le salut. Et enfin, avec elle, fille sublime de Sion, après la longue attente de la promesse, les temps s'accomplissent et une nouvelle économie s'instaure lorsque le Fils de Dieu prend d'elle la nature humaine pour libérer l'homme du péché par les mystères de sa chair.

Marie à l'Annonciation

56. Le Père des miséricordes a voulu que l'acceptation de la mère prédestinée précédât l'Incarnation; il voulait que de même qu'une femme avait contribué à donner la mort, de même une femme servît à donner la vie. Et cela vaut d'une manière extraordinaire pour la Mère de Jésus: elle a donné au monde la Vie même qui renouvelle tout, et elle a été enrichie par Dieu de dons correspondant à une si haute fonction. Il n'est pas étonnant que les saints Pères appellent communément la Mère de Dieu la Toute Sainte, celle qui est indemne de toute tache du péché, celle qui est façonnée et formée comme une nouvelle créature par l'Esprit-Saint (5). Ornée dès le premier instant de sa conception des splendeurs d'une sainteté tout à fait singulière, la Vierge de Nazareth est, sur l'ordre de Dieu, saluée par l'Ange de l'Annonciation comme "pleine de grâces" (cf. Lc 1, 28); et elle répond au messager céleste: "Voici la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon ta parole" (Lc 1, 38). Ainsi Marie, fille d'Adam, acquiesçant au verbe de Dieu, est devenue Mère de Jésus et embrassant de plein coeur, sans être entravée par aucun péché, la volonté salvatrice de Dieu, elle s'est consacrée totalement comme servante du Seigneur à la personne et à l'oeuvre de son Fils, toute au service du mystère de la Rédemption en dépendance de son Fils et en union avec lui, par la grâce de Dieu Tout Puissant. C'est donc à juste titre que les saints Pères estiment que Marie ne fut pas un instrument purement passif dans les mains de Dieu, mais qu'elle coopéra au salut de l'homme dans la liberté de sa foi et de son obéissance. En fait, comme le dit saint Irénée, "en obéissant, elle est devenue cause du salut pour elle-même et pour tout le genre humain" (6). Et, avec Irénée, bien des anciens Pères affirment volontiers, dans leur prédication, que "le noeud de la désobéissance d'Eve a été dénoué par l'obéissance de Marie; ce que la vierge Eve lia par son incrédulité, la foi de la Vierge Marie le délia" (7); et par comparaison avec Eve ils appellent Marie "Mère des vivants" (8), et affirment très souvent : "la mort nous est venue par le moyen d'Eve, la vie par celui de Marie" (9). 

La sainte Vierge et l'enfance de Jésus

57. Cette union de la Mère et de son Fils dans l'oeuvre de la Rédemption se manifeste depuis le moment de la conception virginale du Christ jusqu'à sa mort. C'est d'abord lorsque Marie, qui se porte en hâte vers Elisabeth, est proclamée par celle-ci bienheureuse à cause de sa foi dans la promesse du salut; le précurseur se réjouit alors dans le sein de sa mère (cf. Lc I, 41-45). 

Cette union se manifeste ensuite à la nativité, lorsque la Mère de Dieu, toute joyeuse, montra aux bergers et aux Mages son Fils premier-né, lui qui n'a pas lésé sa virginité, mais l'a consacrée (10). Quand elle le présenta au Seigneur dans le temple une fois présentée l'offrande des pauvres, elle entendit Siméon annoncer à la fois que le Fils serait un signe de contradiction et qu'une épée transpercerait l'âme de la mère, pour que se révèlent les pensées d'un grand nombre de coeurs (cf. Lc 2, 34-35). Après avoir perdu l'enfant Jésus et l'avoir cherché avec angoisse, ses parents le trouvèrent au temple, aux choses de son Père, et ils ne comprirent pas les paroles du Fils. Sa mère méditait et conservait toutes ces choses en son coeur (cf. Le 2, 41-51). 

La sainte Vierge et le ministère public de Jésus

58. Durant la vie publique de Jésus, sa Mère fait des apparitions qui sont pleines de sens. Dès le début, quand, aux noces de Cana de Galilée, émue de compassion, elle provoque par son intercession le premier des miracles de Jésus-Messie (cf. Jn 2, 1-11). Pendant la prédication de Jésus, elle entendit les paroles où son Fils, plaçant le Royaume au-dessus des rapports et des liens de la chair et du sang, proclama bienheureux ceux qui écoutent et gardent la parole de Dieu (cf. Mc 3, 35; Lc 11, 27-28), ainsi qu'elle le faisait avec fidélité (cf. Lc 2, 19 et 51). Ainsi même la bienheureuse Vierge progressa sur le chemin de la foi, et elle resta fidèlement unie à son Fils jusqu'à la croix. Là, ce n'est pas sans réaliser un dessein divin qu'elle se tint debout (cf. Jn 19, 25); elle souffrit Profondément avec son Fils unique et s'associa de toute son âme maternelle à son sacrifice, acquiesçant avec amour à l'immolation de la victime qu'elle avait engendrée. Finalement, le même Christ Jésus, mourant sur la croix, la donna pour mère au disciple, en disant: "Femme, voici ton fils"(11) (Cf. Jn 19, 26-27).

La sainte Vierge après l'Ascension

59. Comme il avait plu à Dieu de ne pas manifester solennellement le mystère du salut de l'humanité avant d'avoir envoyé l'Esprit, que le Christ avait promis, nous voyons les Apôtres, avant le jour de la Pentecôte, "Persévérant d'un seul coeur dans la prière, en compagnie de quelques femmes, de Marie Mère de Jésus et des frères de celui-ci" (Act. 1, 14), et nous voyons aussi Marie implorer par ses prières le don de l'Esprit, cet Esprit qui l'avait déjà couverte elle-même de son ombre à l'Annonciation. Enfin, la Vierge Immaculée, préservée de toute tache de la faute originelle (12), au terme de sa vie terrestre, fut élevée à la gloire du ciel en son âme et en son corps (13) et elle fut exaltée par le Seigneur comme Reine de l'univers afin de ressembler plus parfaitement à son Fils, Seigneur des seigneurs (cf. Apoc. 19, 16) et vainqueur du péché et de la mort (14). 

III - LA BIENHEUREUSE VIERGE ET L'ÉGLISE 

Marie, servante du Seigneur

60. Nous n'avons qu'un Médiateur, selon la parole de l'Apôtre: "Il n'y a qu'un Dieu et qu'un Médiateur entre Dieu et les hommes, l'homme-Christ Jésus, qui s'est lui-même donné pour tous comme rançon" (I Tim. 2, 5-6). Le rôle maternel de Marie envers les hommes ne voile ou ne diminue en aucune manière cette médiation unique du Christ, mais elle en montre l'efficacité. En effet, toute l'action de la bienheureuse Vierge sur les hommes dans l'ordre du salut ne provient pas d'une quelconque nécessité: elle naît du bon plaisir de Dieu et découle de la surabondance des mérites du Christ. Elle s'appuie sur la médiation du Christ, elle en dépend et en tire toute sa vertu. Ainsi cette action, loin d'empêcher de quelque manière une union immédiate des croyants avec le Christ. la facilite bien plutôt. 

61. La bienheureuse Vierge, dont la prédestination à la maternité divine, est allée de pair, de toute éternité, avec celle de l'Incarnation du Verbe de Dieu, fut sur cette terre, par disposition de la divine Providence, la noble Mère du divin Rédempteur, l'associée du Seigneur la plus généreuse qui fut, et son humble servante. Elle, qui a conçu le Christ, l'a enfanté, l'a nourri, l'a présenté au Père dans le temple, qui a souffert avec son Fils mourant sur la croix, elle a coopéré, d'une manière toute spéciale, à l'oeuvre du Sauveur par obéissance, sa foi, son espérance et son ardente charité. Elle a vraiment collaboré à la restauration de la vie surnaturelle dans les âmes. Voilà pourquoi elle fut pour nous une mère dans l'ordre de la grâce. 

62. Cette maternité de Marie, elle dure sans cesse, dans l'économie de la grâce, depuis le consentement que sa foi lui fit donner à l'Annonciation et qu'elle maintint sans hésitation sous la croix, jusqu'à l'accession de tous les élus à la gloire éternelle. En effet, au ciel, elle n'a pas déposé cette fonction salvifique, mais elle continue, par son instante intercession, à nous obtenir des grâces en vue de notre salut éternel (15). Dans sa charité maternelle, elle s'occupe, jusqu'à ce qu'ils soient parvenus à la félicité de la patrie, des frères de son Fils qui sont encore des pèlerins et qui sont en butte aux dangers et aux misères. Aussi la bienheureuse Vierge est-elle invoquée dans l'Eglise sous les titres d'Avocate, d'Auxiliatrice, d'Aide et de Médiatrice(16). Tout cela doit pourtant s'entendre de manière qu'on n'enlève ni n'ajoute rien à la dignité et à l'action du Christ, seul Médiateur (17).

En fait, aucune créature ne peut jamais figurer sur le même plan que le Verbe incarné, notre Rédempteur. Mais, de même que les ministres sacrés et le peuple fidèle participent, selon des façons variées, au sacerdoce du Christ, et que la bonté unique de Dieu est réellement répandue selon une grande variété de manières, dans les créatures, de même également la médiation unique du Rédempteur n'exclut pas, mais suscite plutôt chez les créatures une coopération variée, qui provient de la source unique. 

C'est cette fonction subordonnée de Marie que l'Eglise n'hésite pas à professer, dont elle fait continuellement l'expérience et qu'elle recommande à la piété des fidèles, pour que, soutenus par cette aide maternelle, ils s'attachent plus étroitement au Médiateur et Sauveur.

Marie, modèle de l'Eglise

63. En outre, la bienheureuse Vierge est liée intimement à l'Eglise par le don et la charge de la maternité divine qui l'unit à son Fils, le Rédempteur, de même que par les grâces et les fonctions singulières dont elle est investie. La Mère de Dieu est la figure de l'Eglise, comme l'enseignait déjà saint Ambroise, et cela dans l'ordre de la foi, de la charité et de l'union parfaite avec le Christ (18). En effet, dans le mystère de l'Eglise, qui reçoit, elle aussi, avec raison, les noms de Mère et de Vierge, la bienheureuse Vierge Marie est venue la première, offrant d'une manière éminente et singulière le modèle de la Vierge et de la Mère (19). Car, dans la foi et l'obéissance, elle engendra sur terre le Fils même de Dieu, sans commerce charnel, mais sous l'action de l'Esprit-Saint; nouvelle Eve, elle a cru, non plus au serpent ancien, mais au messager de Dieu, d'une foi qu'aucun doute n'altéra. Elle enfanta le Fils que Dieu a établi premier-né d'un grand nombre de frères (Rom. 8, 29), c'est-à-dire des fidèles. Aussi coopère-t-elle, dans son amour de mère, à les engendrer et à les éduquer. 

64. L'Eglise, qui contemple la sainteté mystérieuse et imite la charité de Marie, l'Eglise, qui accomplit fidèlement la volonté du Père, devient mère, elle aussi, par l'accueil plein de foi qu'elle offre au Verbe de Dieu. Car, par la prédication et le baptême, elle engendre à la vie nouvelle et immortelle des fils conçus du Saint-Esprit nés de Dieu. Elle est aussi la vierge qui maintient intègre et pure foi qu'elle a donnée à l'Epoux. A l'imitation de la Mère de son Seigneur, elle conserve d'une façon virginale, par la vertu de l'Esprit-Saint, une foi intacte, une espérance ferme et une charité sincère (20). 

Les vertus de Marie, modèle pour l'Eglise

65. Tandis que l'Eglise a déjà atteint dans la très bienheureuse Vierge la perfection, par quoi elle est sans tache et sans ride (cf. Eph. 5, 27), les fidèles tâchent encore de croître en sainteté en triomphant du péché. Aussi lèvent-ils les yeux vers Marie: elle brille comme un modèle de vertu pour toute la communauté des élus. L'Eglise, en songeant pieusement à elle et en la contemplant dans la lumière du Verbe fait homme, pénètre plus avant, pleine de respect, dans les profondeurs du mystère de l'Incarnation, et se conforme toujours davantage à son Époux. Marie, en effet, qui, par son étroite participation à l'histoire du salut, unit en elle et reflète pour ainsi dire les données les plus élevées de la foi, amène les croyants, quand elle est l'objet de la prédication et du culte, à considérer son Fils, le sacrifice qu'il a offert, et aussi l'amour du Père. Quant à l'Eglise, en cherchant à procurer la gloire du Christ, elle devient plus semblable à son très haut modèle: elle progresse alors sans cesse dans la foi, l'espérance et la charité, elle cherche et suit en toutes choses la volonté de Dieu. Aussi, l'Eglise, en son travail apostolique également, regarde-t-elle avec raison vers celle qui engendra le Christ, conçu donc de l'Esprit-Saint et né de la Vierge, afin qu'il naisse et grandisse également dans le coeur des fidèles par le moyen de l'Eglise. La Vierge fut dans sa vie un modèle de cet amour maternel dont doivent être animés tous ceux qui, associés à la mission apostolique de l'Église, coopèrent à la régénération des hommes.