Les JMJ, laboratoire de
l’Eglise
Du 16 au
21 août, un million et demi de jeunes sont attendus à Madrid, en Espagne,
pour les 26es Journées mondiales de la jeunesse
Pour certains observateurs, le moment fut magique. Pour
d’autres, incongru : en août 2008, sur l’immense pelouse aménagée dans la
banlieue de Sydney, des centaines de milliers de jeunes se tiennent en
silence. Sur les écrans géants, disséminés un peu partout, une image
fixe : le Saint Sacrement. Et devant, un homme âgé, Benoît XVI,
recueilli. À l’écran, aucun autre mouvement. Pourtant, les jeunes se taisent,
prient, ou regardent. Mêler
tradition et modernité
Cette scène s’était déjà produite trois ans plus tôt, à
Cologne. Elle se répétera sans aucun doute à la fin de la veillée, samedi
prochain, à Madrid. À elle seule, elle résume les JMJ, en même temps qu’elle
livre l’une des clés de leur succès : ce curieux mélange de tradition
(adoration du Saint Sacrement) et de modernité (un immense sit-in). En somme, une forme de « religion postmoderne »,
pour reprendre l’expression de Michaela Pfadenhauer, professeur de sociologie au Karlsruhe Institute
of Technology, qui a dirigé une étude
sur les JMJ de Cologne (2005). « Ce qui a contribué au succès, c’est la combinaison
passionnante entre la capacité d’unir le traditionnel, liturgique, ecclésial,
avec le moderne, la culture de l’événement. » « Méga-événement »
De fait, tous les ingrédients du « méga événement »
sont là : les JMJ donnent lieu à une scénographie marquée par un grand
professionnalisme, avec un sens certain du marketing. « Pour les autres rassemblements catholiques, ce sont les
participants qui organisent. Là, on invite des professionnels, de grandes
agences de communication », note encore la sociologue allemande. En témoigne le chemin de croix, un des temps forts des JMJ. À
Toronto, en 2002, il s’est dressé grâce à un système d’écrans géants sur les
gratte-ciel de la ville, dans les rues, faisant appel par des images, parfois
à la limite du supportable, à l’émotion et l’univers des jeunes
générations. Pourtant, « ce chemin de croix est resté dans toutes les
mémoires », comme le rappelle le P. Thomas Rosica,
qui fut directeur national des JMJ canadiennes : « Il est parvenu à
créer une vraie émotion dans une ville très froide comme Toronto. » Rencontrer des jeunes croyants étrangers
La dimension internationale marque aussi ce « méga
événement ». « Jean-Paul II avait compris que les jeunes ne
pouvaient se contenter de l’horizon de leur paroisse », remarque
Mgr Renato Boccardo. Actuel archevêque de Spolète, ce prélat italien fut le premier
« monsieur JMJ », comme responsable des jeunes au Conseil
pontifical pour les laïcs de 1992 à 2001. « D’ailleurs, poursuit-il, rencontrer des jeunes
croyants d’autres pays est l’une des motivations principales affichées par
les jeunes. » À l’heure du programme Erasmus et des vols low cost, le catholicisme avait
aussi besoin d’offrir une vitrine de la mondialisation. Dès lors, les responsables d’Église sont unanimes. Les JMJ
sont devenues l’un des événements qui structurent la vie du catholicisme, du
moins dans les pays occidentaux. Souffle nouveau
« La plupart des jeunes prêtres, religieuses ou laïcs
engagés sont passés par les JMJ », constate pour son diocèse
Mgr Stanislas Lalanne, évêque de Coutances
(Manche). C’est même, dit-il, devenu une « sorte de rite de
passage » : « Dans les lettres qu’ils m’envoient au moment de
leurs confirmations, les adolescents citent souvent les prochaines JMJ comme
un de leurs objectifs. » En Italie, confirme Mgr Boccardo,
c’est grâce aux JMJ que chaque diocèse a été amené à créer un service pour
les jeunes. Dans des pays en voie de sécularisation, comme le Canada, À Rome, on a très vite vu dans les JMJ les « laboratoires
de l’Église de demain », souligne le P. Francis Kohn,
qui fut, après Mgr Boccardo, de 2001 à 2008 responsable des JMJ auprès du Conseil pontifical des laïcs
à Rome. Laboratoire de l’Église ? Oui, parce qu’il s’agit bien d’un
événement d’Église, que l’on ne peut réduire à une forme de manifestation
géante du catholicisme. Comme le résume Mgr Lalanne,
les JMJ offrent aussi tous les ingrédients de la vie chrétienne :
enseignement, célébration et vie fraternelle. Mais en adaptant ces « ingrédients » aux nouveaux
contours de la pratique religieuse, ils ont fourni à l’Église un formidable
terrain d’expérimentation. |
Expérience personnelle de la foi
D’abord, le besoin d’identité. Winfried
Gebhardt, de l’Institut de sociologie de
l’université de Koblenz-Landau, a étudié le profil
des jeunes participants : « Ils se sentent souvent marginalisés du
fait de leur pratique : il n’est pas facile de se déclarer catholiques.
Ces jeunes, qui font même parfois l’expérience de la discrimination, se
retrouvent là membres d’une communauté, analyse-t-il. Avec une visibilité, puisque tout est fait pour que
l’événement soit médiatisé. » Les JMJ prennent aussi en compte le besoin
d’« expérience » de la foi : « La transmission de la
religion par la famille, le milieu social, ne suffit plus, tranche ainsi le
P. Kohn. Il faut avoir une expérience
personnelle de la foi, ce qu’offrent les JMJ. » D’où l’accent mis sur les sacrements, éléments par excellence
de cette démarche personnelle. Le sacrement de réconciliation (confession),
qui suscite un vrai attrait auprès des jeunes, en est un exemple. « Les moments de prières ont pris plus de
place »
Ensuite, une manière de vivre la foi plus intense, plus
visiblement spirituelle : lors des premières JMJ, à Compostelle, à
Manille (Philippines), les veillées étaient essentiellement festives, se
souvient Mgr Boccardo. Depuis, les moments de silence et les prières ont pris de plus
en plus de place. Les célébrations eucharistiques sont elles aussi
recueillies, à l’image d’une génération pour qui l’appartenance à l’Église se
vit d’abord dans l’Eucharistie, si l’on en croit le sondage effectué par Mais prier ne suffit pas. Les jeunes sont aussi en demande des
fondamentaux de la foi, eux qui ont souvent échappé au catéchisme et ont fait
les frais de la crise de la transmission. Là encore, l’évolution est significative : le nombre de
lieux d’enseignement (les catéchèses), donné par des évêques, ne cesse
d’augmenter d’édition en édition. Un motif d’espérance
Enfin, dans une société en manque de repères, la présence du
pape – comme point de hiérarchie, de paternité – n’est pas le
moindre des éléments de ce succès. Jean-Paul II, initiateur des JMJ,
marquait l’événement de sa personnalité. Mais Benoît XVI, pourtant moins charismatique, dès
Cologne, en 2005, et plus encore à Sydney, a été chaleureusement accueilli
par les jeunes. Au point qu’il est impossible d’imaginer des Journées
mondiales de la jeunesse sans pape… Dans un paysage catholique morose, marqué par la diminution de
la pratique, des vocations, les Journées mondiales de la jeunesse, qui
comptent leurs participants en million, tranchent. Elles sont devenues pour l’Église un motif d’espérance. Avec
le risque de voir se développer un événement de plus en plus important, en
recherchant à tout prix les records de participations, dans une volonté
d’affichage. « Course au gigantisme »
Un risque dont les responsables romains ont toujours été
conscients, affirme Mgr Francis Kohn :
« À force de gigantisme, de professionnalisation à outrance, il ne faut
pas en oublier l’essentiel, la rencontre avec le Christ. » Mgr Georg Austen, qui fut de 2002 à 2006 secrétaire des
JMJ de « La formule risque de s’user », note aussi
Mgr Boccardo, qui regrette lui aussi « la
course au gigantisme ». Quelques responsables s’émeuvent par exemple que
certains diocèses aient baissé l’âge des participants à 16 ans, voire à
14 ans… En raison même de leur succès, signe de la forte demande de la
part des plus jeunes, les JMJ seraient contraintes à aller de l’avant et
imaginer de nouvelles formules. Illustration, cette année, avec la multiplication de « routes » différentes pour Madrid,
avec pour les plus motivés des propositions beaucoup plus longues que les
seules journées espagnoles. Une initiative dans le droit de fil du pèlerinage « aux
sources » organisé par l’Église de France, en juillet 2009, afin de
permettre à cette tranche d’âge de partir à la rencontre des lieux et aussi
de ses habitants. Un événement de dimension plus modeste mais aussi bien plus
exigeant. ISABELLE DE GAULMYN
avec TERESA KAMMERLANDER et CÉLINE HOYEAU |