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Hospitalité chrétienne
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En janvier
2010, Mgr Michel Dubost concluait son message à
l’occasion de la Journée mondiale des migrants par cette interpellation : «
L’enfant de la crèche… est un mineur réfugié. Et c’est lui qui sauve le monde.
» À l’approche de Noël, combien d’enfants et d’adultes ne trouvent toujours
pas de place à l’auberge ? Il y a là un déni de justice, qui est aussi une
invitation à découvrir l’hospitalité comme l’art de recevoir de l’autre, même
et avant tout des plus vulnérables.
Au fil du
temps, les chrétiens ont répondu à cette provocation en inventant des pratiques
significatives d’hospitalité qui témoignent de la dignité conférée à toute
l’humanité par l’Incarnation dont nous ferons mémoire à Noël. L’hospitalité en
effet est d’abord une affaire de « corps », qu’il s’agisse des démunis, des
malades, des personnes en situation de handicap ou de dépendance, des
sans-papiers. De ce point de vue l’expérience des religieuses hospitalières
peut nous éclairer.
Au XVIII
siècle, celui qui n’avait d’autre recours que de frapper à la porte de
l’Hôtel-Dieu de Paris pour être hébergé et soigné était accueilli par des
gestes symboliques. La religieuse s’inclinait pour le saluer comme un envoyé de
Jésus-Christ en personne, en disant (haut et bas) : « Béni soyez-vous qui
venez au nom du Seigneur » ; lui demandait de remettre « son bonnet ou
chapeau s’il l’avait ôté » ; s’agenouillait enfin devant lui pour le rite
d’accueil du lavement des pieds. Ce premier geste de soin introduisait tous les
autres. C’est pourquoi la formation des hospitalières insistait sur l’attention
personnalisée, la disponibilité, une manière d’habiter les actes, les paroles,
l’espace hospitalier, pour qu’ils soient signifiants.
Mais quel
appui peut-on trouver dans la foi pour accueillir gratuitement alors que le
corps malade suscite répugnance ou peur de la contagion, que l’agressivité de
l’hôte fait peur, que les urgences de la misère humaine dépassent les forces et
les moyens ? Lorsque les religieuses hospitalières étaient surchargées de
travail (déjà), éprouvées par le manque d’argent ou de personnel (en
permanence), elles misaient sur la qualité de la rencontre pour se ressourcer.
Il ne s’agissait pas seulement de « voir » le visage du Christ dans l’hôte,
mais aussi de se découvrir capable de participer toujours plus à Sa manière de
servir (Jn 13) et d’aimer, afin de surmonter les
défis quotidiens. Dans un opuscule rédigé par une hospitalière québécoise du
XVIII° siècle, il est ainsi question du miracle de la Vierge qui allaite son
enfant des jours durant sans trouver le temps de dormir et de manger, ne
recevant sa force que de l’amour échangé. On devine dans ce récit les journées
surchargées et les veilles nocturnes qui s’accumulent. Mais c’est précisément
l’accueil dans la foi d’un Dieu vulnérable, qui se fait faim et nourriture, qui
permet d’y faire face.
L’expérience
des premières religieuses hospitalières missionnaires fait découvrir un autre
volet de l’hospitalité. Sur des terres étrangères, elles ont découvert dans la
pratique concrète de l’hospitalité les compétences de leurs hôtes, ne serait-ce
que dans la préparation des repas avec les ingrédients locaux ! Assumé
ensemble, le service de la cuisine est devenu l’occasion d’une estime mutuelle,
premier pas d’une ouverture interculturelle, d’une reconnaissance comme frères et
sœurs. La vulnérabilité partagée devient un lieu de collaboration créative.
Bien sûr, il ne s’agit pas d’imiter les pratiques d’un passé missionnaire et
colonial, dont nous ne percevons que trop bien les limites. Mais elles pointent
un élément que nous redécouvrons aujourd’hui : l’importance de donner aux plus
vulnérables la possibilité de valoriser leurs propres ressources pour devenir co-responsables de leur guérison ou de leur intégration.
Si une
telle tradition de l’hospitalité peut suggérer des repères pour être force de
proposition sociale partout où le corps est menacé, nous y trouvons aussi l’assurance que « l’art de recevoir » s’apprend en se
pratiquant. Ne pouvons-nous pas alors valoriser ce qui se joue en ce moment
dans les préparatifs de nos fêtes familiales ? Chacun met du sien pour la joie «
du corps et de l’âme » des petits et des grands. Chacun reçoit aussi plus
que ce qu’il pouvait imaginer et donner soi-même, dans l’accueil de l’hôte ou
du cadeau imprévu, et bientôt la célébration de la présence fragile de Dieu au
cœur du monde. Nous avons là de quoi puiser à la source, aux sources vives du
dynamisme de l’hospitalité pour la nouvelle année.
Donner aux plus vulnérables la possibilité de valoriser leurs propres ressources pour devenir co-responsables de leur guérison ou de leur intégration.
La Croix 18/12/2010
(1) Vient de publier : L’Hospitalité, figure sociale de la
charité. Deux fondations hospitalières à Québec , Éd. Desclée
de Brouwer, coll. « Théologie à l’université », 459 p., 32 €.