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Hospitalité chrétienne

L’hospitalité ou «l’art de recevoir» de l’autre

Catherine Fino, salésienne de Don Bosco et enseignante au Theologicum de l’Institut catholique de Paris (1)

En janvier 2010, Mgr Michel Dubost concluait son message à l’occasion de la Journée mondiale des migrants par cette interpellation : « L’enfant de la crèche… est un mineur réfugié. Et c’est lui qui sauve le monde. » À l’approche de Noël, combien d’enfants et d’adultes ne trouvent toujours pas de place à l’auberge ? Il y a là un déni de justice, qui est aussi une invitation à découvrir l’hospitalité comme l’art de recevoir de l’autre, même et avant tout des plus vulnérables.

Au fil du temps, les chrétiens ont répondu à cette provocation en inventant des pratiques significatives d’hospitalité qui témoignent de la dignité conférée à toute l’humanité par l’Incarnation dont nous ferons mémoire à Noël. L’hospitalité en effet est d’abord une affaire de « corps », qu’il s’agisse des démunis, des malades, des personnes en situation de handicap ou de dépendance, des sans-papiers. De ce point de vue l’expérience des religieuses hospitalières peut nous éclairer.

Au XVIII siècle, celui qui n’avait d’autre recours que de frapper à la porte de l’Hôtel-Dieu de Paris pour être hébergé et soigné était accueilli par des gestes symboliques. La religieuse s’inclinait pour le saluer comme un envoyé de Jésus-Christ en personne, en disant (haut et bas) : « Béni soyez-vous qui venez au nom du Seigneur » ; lui demandait de remettre « son bonnet ou chapeau s’il l’avait ôté » ; s’agenouillait enfin devant lui pour le rite d’accueil du lavement des pieds. Ce premier geste de soin introduisait tous les autres. C’est pourquoi la formation des hospitalières insistait sur l’attention personnalisée, la disponibilité, une manière d’habiter les actes, les paroles, l’espace hospitalier, pour qu’ils soient signifiants.

Mais quel appui peut-on trouver dans la foi pour accueillir gratuitement alors que le corps malade suscite répugnance ou peur de la contagion, que l’agressivité de l’hôte fait peur, que les urgences de la misère humaine dépassent les forces et les moyens ? Lorsque les religieuses hospitalières étaient surchargées de travail (déjà), éprouvées par le manque d’argent ou de personnel (en permanence), elles misaient sur la qualité de la rencontre pour se ressourcer. Il ne s’agissait pas seulement de « voir » le visage du Christ dans l’hôte, mais aussi de se découvrir capable de participer toujours plus à Sa manière de servir (Jn 13) et d’aimer, afin de surmonter les défis quotidiens. Dans un opuscule rédigé par une hospitalière québécoise du XVIII° siècle, il est ainsi question du miracle de la Vierge qui allaite son enfant des jours durant sans trouver le temps de dormir et de manger, ne recevant sa force que de l’amour échangé. On devine dans ce récit les journées surchargées et les veilles nocturnes qui s’accumulent. Mais c’est précisément l’accueil dans la foi d’un Dieu vulnérable, qui se fait faim et nourriture, qui permet d’y faire face.

L’expérience des premières religieuses hospitalières missionnaires fait découvrir un autre volet de l’hospitalité. Sur des terres étrangères, elles ont découvert dans la pratique concrète de l’hospitalité les compétences de leurs hôtes, ne serait-ce que dans la préparation des repas avec les ingrédients locaux ! Assumé ensemble, le service de la cuisine est devenu l’occasion d’une estime mutuelle, premier pas d’une ouverture interculturelle, d’une reconnaissance comme frères et sœurs. La vulnérabilité partagée devient un lieu de collaboration créative. Bien sûr, il ne s’agit pas d’imiter les pratiques d’un passé missionnaire et colonial, dont nous ne percevons que trop bien les limites. Mais elles pointent un élément que nous redécouvrons aujourd’hui : l’importance de donner aux plus vulnérables la possibilité de valoriser leurs propres ressources pour devenir co-responsables de leur guérison ou de leur intégration.

Si une telle tradition de l’hospitalité peut suggérer des repères pour être force de proposition sociale partout où le corps est menacé, nous y trouvons aussi l’assurance que « l’art de recevoir » s’apprend en se pratiquant. Ne pouvons-nous pas alors valoriser ce qui se joue en ce moment dans les préparatifs de nos fêtes familiales ? Chacun met du sien pour la joie « du corps et de l’âme » des petits et des grands. Chacun reçoit aussi plus que ce qu’il pouvait imaginer et donner soi-même, dans l’accueil de l’hôte ou du cadeau imprévu, et bientôt la célébration de la présence fragile de Dieu au cœur du monde. Nous avons là de quoi puiser à la source, aux sources vives du dynamisme de l’hospitalité pour la nouvelle année.

Donner aux plus vulnérables la possibilité de valoriser leurs propres ressources pour devenir co-responsables de leur guérison ou de leur intégration.

La Croix 18/12/2010

(1) Vient de publier : L’Hospitalité, figure sociale de la charité. Deux fondations hospitalières à Québec , Éd. Desclée de Brouwer, coll. « Théologie à l’université », 459 p., 32 €.