DANSE
CORPS ET AME
La
Croix 23 décembre 2016
Dix minutes après avoir marché, crié, pleuré,
tapé et dansé, seule, sur la scène du théâtre Essaïon,
dans le quatrième arrondissement de Paris où son spectacle Je danserai pour toi (1) est prolongé jusqu’en janvier, Sophie Galitzine s’en
vient à la rencontre de son public bigarré.+
La jeune femme de 38 ans, mère d’une enfant
de 9 mois, ne vacille pas devant la longue file qui l’attend. Ses pieds, à
l’aise dans les dernières baskets à la mode, sont ancrés dans le sol ; ses mains
aux ongles rouge vif, au chaud dans les poches de sa salopette ; son joli visage,
empreint d’intérêt.
Pas de cri, pas de grandes effusions, que
des murmures. La retenue tranche avec la liberté de la comédienne, quelques instants
plus tôt, sur les planches. Sans détours, entière et authentique, elle y
narrait non sans humour l’histoire de Louison, trentenaire parisienne engluée dans
un milieu de plaisirs immédiats qui se convertit progressivement au christianisme,
après la mort de son père, en 2005, et un passage par l’hindouisme.
« L’histoire de Louison, c’est moi »
Là, Sophie Galitzine était à nu. « À poil même », sourit-elle. « L’histoire de Louison est très fortement inspirée
d’une histoire que j’ai vécue. Parce que Louison, c’est moi, souffle-t-elle. Avec quelques traits de caractères appuyés. Ce
côté un peu brut de décoffrage notamment, libre. Je crois que cela rejoint le
désir que j’éprouve aujourd’hui de retrouver la petite fille que j’étais, non
embarrassée par son vécu. »
Née en décembre 1978 d’un père d’origine
russe et de sa deuxième femme – sur quatre – et baptisée au sein de la communauté
catholique, Sophie Galitzine passe une enfance dorée à Paris, malgré le divorce
de ses parents. Adolescente, elle découvre la scène avec un professeur qui
abuse d’elle, sous prétexte d’aller au bout d’une expérience théâtrale.
Plus tard, loin de toute pratique religieuse,
elle passe son baccalauréat au lycée Montaigne, étudie la philosophie, revient
au théâtre, devient animatrice télé pour la chaîne musicale Fun TV et dérive
peu à peu vers ce qu’elle appelle « un comportement à risques ».
«
Je n’étais pas une délinquante. Mais je cherchais sans arrêt mes limites : je fumais,
enchaînais les relations amoureuses. Je suis devenue anorexique-boulimique…
J’entretenais, avec mon corps, une relation d’objet à objet »,résume-t-elle.
Une conversion religieuse, source de « restauration
corporelle »
Une relation qui se transforme, une dizaine
d’années plus tard, lorsque la comédienne se convertit et se rend à la messe
presque quotidiennement. «
J’ai eu l’impression que le Seigneur, par l’Eucharistie, réorientait, physiquement,
mes cellules. C’était une réelle restauration corporelle », s’émeut celle qui a choisi le corps justement pour exprimer
cette «
restauration » sur scène.
Ainsi, pour traduire la manière dont sa relation
à Dieu s’est tissée au sein du monastère orthodoxe où elle a pensé vivre le
reste de son existence, Sophie Galitzine se tait. Et laisse ses membres prendre
le relais. Ils bruissent, se déplient, se délient pour se mouvoir,
s’entrecroiser. Ils expriment l’indicible.
La recette d’une telle présence ? « Le corps est, selon moi, une manifestation divine », confie
la danseuse qui avait averti d’entrée de jeu les spectateurs, en présentant sa représentation
comme «
l’histoire d’un corps. Et d’une âme. En fait, c’est la même histoire. »
« Établir un pont entre la danse et la religion
chrétienne »
«
Mon corps, c’est mon âme qui est visible », précise-t-elle
aujourd’hui, à l’écart des planches. « C’est d’ailleurs pour cette raison que j’éprouve
le désir aujourd’hui d’établir un pont entre la danse et la religion chrétienne
», ajoute-t-elle en évoquant un projet autour
du Cantique des Cantiques, ou les ateliers qu’elle dirige depuis bientôt dix
ans en tant que masseuse et art-thérapeute – activité vers laquelle elle s’est
tournée, à la mort de son père – à Paris.
«
Je suis frappée d’y entendre certaines femmes me confier ne pas oser, par leur éducation,
prendre soin d’elles, être coquettes, habiter leur corps. »
Elle se défend toutefois de faire de son
spectacle – le plus gros succès de l’Essaïon depuis son
lancement en septembre – une thérapie. « J’avais envie de parler de Dieu. Je ne pouvais
pas ne rien faire de l’histoire que j’avais vécue. C’était quelque chose qui me
débordait. » Quelque chose qui venait de son corps.
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Son
inspiration. Lila Djeddi, fondatrice du restaurant « La
cantine vagabonde » à Paris
« Lila est une amie. Après avoir travaillé
dans le monde du cinéma, elle a eu le couragede se
reconvertir, à l’âge de 40 ans, et d’aller jusqu’au bout d’un engagement en
ouvrant un restaurant bio et végétarien à Paris. Sa cuisine, c’est de l’amour !
Elle choisit, suivant la saison, les plats qu’elle prépare et propose des
assiettes colorées, généreuses.
Elle permet une « consommation joyeuse »
de la nourriture, expression que j’emprunte à sainte Hildegarde. Aller chez elle,
c’est prendre soin de son corps. La cuisine de Lila m’a permis, à moi qui ai eu
des problèmes avec la nourriture, de redécouvrir l’art de la table. Et m’a
redonné et me redonne envie de cuisiner. »
Isabelle
Demangeat