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Don Bosco et Dominique SAVIO |
Dominique
Savio, 12 ans et demi, issu d'une famille très chrétienne, et remarqué pour ses
qualités humaines et spirituelles exceptionnelles, est élève du premier collège
des Salésiens, au Valdocco à Turin
Confiance et sanctification
A
cette époque, Don Bosco a 39 ans. Il met au point sa méthode pédagogique,
appelée « système préventif », basée sur la raison, la religion et l'affection.
Il lui est alors donné de parler à Dominique pour la première fois. « Nous
sommes tout de suite entrés dans une relation de pleine confiance mutuelle »,
écrira-t-il plus tard, soulignant ainsi que la confiance, jointe à la lucidité,
constitue le socle par excellence de toute relation d'accompagnement.
Écoutons
à ce propos le dialogue d'octobre 1854
:
« Veux-tu devenir saint, comme le demande l'apôtre Paul (cf. 1 Th 4, 3) ? Par
la grâce du Seigneur, dit don Bosco, tu en as l'étoffe !
- Oui, je le désire vivement et je souhaite que cette étoffe devienne un bel
habit pour le Seigneur, répond Dominique ; mais il me faut pour cela un bon
tailleur. Acceptez-vous de le devenir pour moi ? »
Ce court échange montre bien le but de tout travail de discernement spirituel
selon don Bosco : dans une relation suivie avec un guide expérimenté,
accueillir la sanctification qui vient de Dieu.
Une affection lucide
Entre l'éducateur et son élève s'instaure désormais une alliance profonde. Tous
deux vont se mettre à l'écoute de l'Esprit. Mais cela, ils le vivent dans une
relation d'affection (amorevolezza) qui sait garder une juste distance.
Dominique se sent aimé et respecté. Il admire don Bosco, s'attachant et s'en
remettant totalement à lui, comme à un père. Attitudes classiques chez un
adolescent, qui peuvent se révéler constructives dans l'accompagnement
spirituel ; à la condition cependant que l'éducateur ne se laisse point «
piéger » ou manipuler par ce qu'elles peuvent avoir d'excessif.
Don Bosco l'avait bien compris. Tout en exprimant de l'amitié vis-à-vis de
Dominique, il veillait à le renvoyer à d'autres personnes. Il le référait au
règlement de la maison qui faisait loi pour les rencontres entre éducateurs et
éduqués. Il l'encourageait à constituer des groupes d'approfondissement de la
foi, « les Compagnies », dont Dominique avait eu
d'ailleurs lui-même l'idée. Enfin et surtout, il ne l'enfermait pas dans la
relation chaleureuse avec lui, mais veillait à l'ouvrir sans cesse à cet Autre
qu'est Jésus-Christ Vivant .
Découvrir la gratuité
Dans ce but, don Bosco encourageait Dominique
à développer sa vie sacramentelle. A une époque où cela était peu admis, il
n'hésitait pas à l'inviter à la communion fréquente et à vivre avec intensité
tous les exercices spirituels proposés par la maison salésienne : confessions
souvent renouvelées, prières personnelles et communautaires régulières,
récollections mensuelles, etc. Il cherchait ainsi à ce que Dominique puisse
faire un jour l'expérience la plus centrale de la vie chrétienne : celle de la
gratuité de Dieu.
Avoir les pieds sur terre
En
effet, comme tout adolescent épris d'absolu, le jeune Savio ne connaissait pas
de mesure dans le don qu'il voulait faire de lui-même à Dieu. Il fut ainsi
conduit à des pratiques de mortifications nuisibles à sa santé et à son
équilibre. Don Bosco en prit vite conscience. En bon accompagnateur, il lui
rappela à plusieurs reprises que Dieu et la sainteté ne se conquièrent pas à la
force des poignets, par accumulation de mérites. Le Royaume de Dieu est un
royaume de surabondance et de gratuité ; telle est la découverte quelque peu
bouleversante que doit faire un jour ou l'autre tout chrétien.
Rencontrer Dieu dans le quotidien
Mais une telle découverte nécessite
préalablement un itinéraire où se succèdent des sentiers faciles à parcourir, des
sommets difficiles à gravir, des chemins de crête qui donnent parfois le
vertige, de mornes plaines qui paraissent interminables,... Dans tous les cas,
il s'agit de se confronter au concret, non seulement dans ses aspects
exceptionnels, mais surtout dans ce qu'il a de plus quotidien et de plus banal.
C'est ce concret qui est la glaise avec laquelle la sainteté se pétrit.
Aussi ne s'étonnera-t-on pas de constater que le souci majeur de don Bosco
envers Dominique fut de le renvoyer à son expérience quotidienne d'élève vivant
en internat. « Tu es élève..., élève-toi donc, grâce à l'Esprit, jusqu'à la
connaissance du Christ Ressuscité, et vis pleinement ta condition de fils de
Dieu. » Telle fut en définitive la consigne qui structura toute la démarche
proposée à Dominique Savio. Être élève, cela veut dire d'abord assumer le mieux
possible le travail scolaire. C'est aussi savoir trouver sa juste place à
l'intérieur de la classe et parfois de l'internat dans lequel on vit. C'est
encore se faire inventif pour ménager des espaces de loisirs où l'on fait
l'expérience, jusque dans son corps, qu'il est bon de vivre.
Témoigner de Dieu
C'est
pourquoi, don Bosco, inlassablement, invita Dominique à se tourner vers le
concret et en faire le lieu de la rencontre de Dieu. Et Dominique joua
pleinement le jeu ! Le travail scolaire, il l'assuma avec beaucoup de sérieux.
Quant à sa place dans l'internat, il ne se contenta pas de la trouver et de s'y
réfugier. Encouragé par don Bosco, il en fit un lieu apostolique tout à fait
essentiel. Par exemple, il chercha à être témoin du Dieu riche en miséricorde
(Ep 2, 4) et porteur de réconciliation. En prenant
parfois des risques importants, il intervint positivement pour mettre fin à de
sévères conflits existant entre certains de ses camarades. De même, le jeune
Savio ne se contenta pas de vivre les activités scolaires, suivant la logique
de l'Évangile.
Encouragé par son accompagnateur, il chercha à faire connaître la joie profonde
qu'apporte toute fidélité à Dieu vécue dans l'Esprit. Il anima « les
compagnies » de façon telle que chacun de leurs membres puisse
dire à la suite de don Bosco : « Pour nous, nous faisons consister
la sainteté à être toujours joyeux » (Cf. Ga 5, 22)
Respecter les chemins de l'Esprit
Mais le prêtre de Turin avait
compris que le jeune Savio possédait une personnalité hors du commun, qu'il
fallait savoir prendre en compte. L'Esprit en effet développe toujours de façon
unique les richesses enfouies de la personne ; richesses qui apparaissent
rarement aux yeux de qui n'a pas le regard aiguisé par l'Évangile. Ainsi, le 8
décembre 1854, le Pape proclame le dogme de l'Immaculée Conception, affirmant
que la Mère de Jésus a été « préservée intacte de toute souillure du péché
originel ». Belle occasion de développer la dimension mariale de la foi,
d'autant plus que la maison salésienne a été totalement épargnée - grâce à
Marie, pense-t-on - par l'épidémie de choléra qui a fait 1400 morts à Turin !
La Vierge prend dès lors une place essentielle dans la foi de Dominique au
point qu'il éprouve le désir de se consacrer à Elle, sur le conseil de don
Bosco.
De même, Dominique fut encouragé à développer sa vie d'intimité avec Dieu par
de longs temps de prière devant le Saint Sacrement. Il fut ainsi conduit à
connaître des expériences que certains qualifieraient volontiers de mystiques.
Dans sa prière, le temps semblait s'abolir. Dominique était comme plongé dans
les profondeurs de Dieu. Il savourait ainsi par avance quelque chose du Royaume
à venir.
Don
Bosco, toujours attentif aux inspirations de l'Esprit, respecta l'originalité
de telles rencontres avec le Seigneur. Loin de les soupçonner ou d'en rire ou
encore de les majorer, il sut les intégrer dans l'expérience spirituelle de
Dominique. Pour cela, il l'invita à rattacher à sa vie quotidienne ces temps
forts de perception de la paternité divine. Il restait ainsi dans la logique du
mouvement même de l'amour de Dieu ; de ce Dieu qui, en son Verbe, « a planté sa
tente parmi les hommes » (Jn 1, 14), et qui « de riche, s'est fait pauvre pour
eux, afin de les enrichir... de sa pauvreté » (cf. 2 Co 8, 9) ! Voilà bien le
signe par excellence de la qualité de l'accompagnement de don Bosco.