Mgr Luc RAVEL,

 

Comme un coeur qui écoute,

La parole vraie d'un évêque  sur les abus sexuels

 

Artège, 20l9, 226 p.

 

L’éditeur l'ayant lui-même fait savoir, il est permis de répéter qu'il a lui-même été abusé dans son enfance et que c'est la raison principale pour la-

quelle il s'est tourné vers Mgr Ravel, l'ayant entendu parler de ce sujet dans les médias, lui demandant u la parole vraie d'un évêque » sur cette terrible question des abus sexuels.

 

Contrairement à l'ouvrage de Marie Jo Thiel, présenté dans le numéro du mois d'avril, le livre de notre archevêque ne prétend pas apporter des réponses savantes et techniques sur le sujet des abus sexuels, mais partager au lecteur des émotions et des convictions. Au moment de la sortie du livre, notre archevêque a pu calculer qu'il a reçu, au cours de ces derniers mois, trente-deux personnes venues lui confier un problème d'abus sexuel perpétré par un ministre de l'Église (prêtre, religieux ou diacre) : il s'agissait la plupart du temps des victimes, mais parfois de leurs proches. Ce sont ces entretiens personnels et concrets qui ont fourni l'essentiel de la chair de cet ouvrage. Les passages sur la douleur du pasteur (pp.46 47) et les enfants abusés qui traversent ses rêves s'avèrent particulièrement poignants.

 

Comme Mgr Ravel l'a expliqué dans sa présentation aux coopérateurs de la pastorale, il a construit son livre en chapitres susceptibles d'être lus séparément (« les victime » , ou « les agresseurs »...). Cependant, force est de constater que le plan adopté revêt une grande logique et qu'il pourrait s'avérer dommageable de ne pas le suivre.

 

- une première partie porte sur le « Kairos », le moment particulier de l'Église que nous sommes en train de vivre et qu'il s'agit de prendre dûment en compte, sans chercher de vaines comparaisons qui noient le problème sous prétexte de nous rassurer, et en cherchant comment rebâtir la Maison de Dieu (l'image du sanctuaire dévasté étant employée) ;

 

- la deuxième partie, portant le titre évocateur « victimes et bourreaux », répond à l'objectif de placer « les personnes avant tout » ;

 

- une troisième section aborde la question si délicate de I'équilibre entre justice et miséricorde, qui se trouve à la source de bien des incompréhensions que l'archevêque n'hésite pas à désigner comme un embrouillamini ;

 

- La quatrième partie explique de quelle manière l'Église peut retrouver la lumière, à condition de cultiver la vigilance et la transparence. Revient alors l'espérance.

 

Tout au long de ce qui se lit comme une véritable méditation, la parole de Dieu affleure, fréquemment citée. Mais d'autres références se trouvent également exploitées, comme saint Augustin - ce qui n'étonnera pas de la part de Mgr Ravel - ou divers auteurs contemporains (cardinal Journet, Madeleine Delbrel...).

 

0n a dit plus haut que I'ouvrage ne se voulait pas « technique »,. Certes, il ne passe pas en revue, comme celui de Marie-Jo Thiel, les affections médicales, ni ne procède à la comparaison des législations des différents pays. Ne croyons cependant pas qu'il n'apporte rien dans ces domaines. Pour preuve, les passages sur le psychisme (pp. 62-65), ou encore le long développement sur la distinction entre le légal, le moral et le scandale qui, comme le constate avec quelque étonnement Mgr Ravel, gagnerait à être enfin prise en compte à un large niveau.

 

Précisons bien que ceux qui s'attendent à des révélations sur ter ou tel cas d'abus, récent ou lointain, vécu dans le diocèse de Strasbourg en seront pour leurs frais (le prix très raisonnable de 9,90) : ni statistiques, ni typologie des prêtres agresseurs, ni description sordide des actes perpétrés. 0n ne saura pas s'ils ont eu pour cadre les dortoirs immenses des internats de jadis ou I'exiguïté de certaines sacristies. L’essentiel est ailleurs : dans la perversion d'un ministère qui se définit comme un service et qui s'exerce trop souvent comme un pouvoir abusif sur les esprits et sur Ies corps. Il faut bien Iire le passage décisif sur le cléricalisme (pp. 84 à 89).

 

Pour compliquer une situation qui ne I'est déjà que trop, s’ajoute la distinction, au sein du « légal », entre la légalité canonique et la légalité civile: notre archevêque en traite longuement (pp. 111 à l23), rappelant que le prêtre n'échappe pas plus à la loi civile qu'au droit canonique. Cependant,  pour que ce droit s'exerce, encore faut-il que l'officialité ait été musclée et armée pour pouvoir traiter d'autres sujets que des nullités de mariage : c'est là une tâche confiée au nouvel official, a-t-il annoncé au même public des coopérateurs de la pastorale.

 

Le ton n'a pas changé depuis la lettre de rentrée « Mieux vaut tard ». 0n retrouve même l'une ou l'autre anecdote qui y était déjà rapportée, comme celle ayant pour cadre son service militaire. En revanche, la perspective est considérablement déployée, notamment dans la dernière partie, où on regrette presque la disparition de l'image de la couverture et du cristal, même si on y retrouve la vertu de la transparence. L’énumération des vigilances sur le passé, le présent et l'avenir (pp..l90 à ,I99) trace un beau programme que la conclusion invite à mettre oeuvre de manière à « rattraper le temps perdu ».

 

Puisse Ie livre de Mgr Ravel être lu et reçu aussi bien par les fidèles actuellement sidérés par les révélations en cascade sur des abus perpétrés

dans l'Église que par des personnes de bonne volonté qui attendaient sans plus vraiment I'espérer – « la parole vraie d'un évêque sur les abus sexuels » .

 

Bernard XIBAUT

L’Eglise en Alsace Mai 2019

 

Voir aussi : Marie-Jo THIEL, L’Eglise catholique face aux abus sexuels sur mineurs.  Bayard 2019, 717 p.