En vue du débat parlementaire, les Évêques de France ont souhaité, dans une
note distribuée aux députés, faire quelques propositions qui permettraient que
la dignité de tous, en particulier des plus vulnérables, soit mieux protégée
selon l'esprit de notre corpus juridique français.
Avec les citoyens des États généraux de la bioéthique,
nous pensons que « la France est un pays souverain qui ne doit pas se soumettre
à la pression internationale en matière éthique » ni se rallier au «moins
disant éthique » [*].
Mettre au point la législation française en matière bioéthique est un enjeu
d'humanité.
L'information
concernant des anomalies génétiques graves (articles 1 à 4)
Pour la personne chez laquelle une anomalie génétique serait
diagnostiquée, le projet de loi envisage les moyens de faciliter l'information
des membres concernés de sa famille, en prévoyant à l'avance, avec le médecin,
les modalités de cette information dans un document écrit.
La personne ne devrait-elle pas être accompagnée d'un psychologue ou d'une
personne de confiance lorsqu'elle fait face à l'annonce du diagnostic ? Pour
respecter sa liberté, ne faudrait-il pas inscrire la possibilité pour elle de
révoquer ce « document » ?
Ne faut-il pas prévoir que la personne sera informée si des découvertes
permettant la prévention et le soin sont faites après le diagnostic, afin
qu'elle puisse en informer sa famille ?
Le don
croisé d'organes (article 5)
Le projet envisage le « recours au don croisé d'organes, dans le
respect du principe d'anonymat », lorsque le donneur est incompatible avec le
receveur pressenti. L'exposé des motifs précise qu'il s'agit d'une « personne
ayant déjà exprimé l'intention de don ». Pourquoi ne pas ajouter cette
précision dans le texte de loi, afin d'éviter le plus possible la pression
familiale sur le donneur ?
Le projet de loi n'aborde pas le don post mortem, réalisé aujourd'hui selon le
régime du consentement présumé. Pourquoi ne pas préférer le régime du choix
assumé avant la mort, plus respectueux de la liberté ? Ne faudrait-il pas
renforcer les campagnes d'information dans les familles pour que ce choix
personnel soit partagé ?
Diagnostic
prénatal (articles 9-12)
Il est juste de donner une information avant et après tout
examen et de recevoir le «consentement libre et éclairé» de la femme enceinte
en l'accompagnant et en lui laissant le temps du dialogue. Il serait nécessaire
de former le personnel de telle sorte que cette information et ces examens ne
soient pas source d'angoisse.
En cas de risque avéré, la femme devrait recevoir systématiquement, sauf
opposition de sa part et non « à sa demande », une information sur la prise en
charge de l'anomalie suspectée, sans que cette information soit discriminatoire
par rapport aux personnes handicapées.
L'AMP
avec tiers donneur : la levée de l'anonymat (articles 14-18)
En permettant à l'enfant issu d'un don de gamètes d'accéder à
des données non identifiantes sur le donneur et même à son identité, le projet
de loi veut réparer une injustice objective commise envers un enfant auquel a
été délibérément imposée une dissociation des éléments de sa filiation.
Cela suscite de multiples questions. En particulier, l'accès à l'identité du
donneur repose sur son « consentement exprès », ce qui lui confère le dernier
mot dans un domaine où il est loin d'être seul engagé, puisque sont concernés
l'enfant mais aussi ses parents légaux.Quel sera l'impact de la présence d'un
ou plusieurs tiers sur la relation parents-enfants ? Quel est le poids
psychologique d'une présence anonyme du donneur pendant la période de
croissance vers la majorité ? Quelle répercussion sur l'enfant désirant le
connaître si, devenu majeur, il apprend qu'il est décédé ? Ou s'il n'accepte
pas ses caractéristiques qu'on a choisies pour lui ? Comment établir et
garantir la nature de la relation entre l'enfant et le donneur ? La
connaissance de son « parent biologique » ne risquera-t-elle pas de conduire
subjectivement l'enfant à une multiparentalité et apaisera-t-elle chez lui le
préjudice subi par la dissociation de sa filiation ? Est-il juste envers
l'enfant que la loi suive les couples dans leur désir d'enfant à tout prix ?
En considération de l'intérêt de l'enfant, toutes ces questions et d'autres
encore invitent à supprimer la possibilité d'AMP (assistance médicale à la
procréation) avec tiers donneur, réalisée pour un petit nombre de couples. Au
minimum, les couples devraient recevoir, préalablement au don de gamètes, une
information objective et exhaustive sur les difficultés auxquelles ils seront
confrontés, et sur la possibilité de l'adoption afin que leur consentement soit
libre et éclairé.
AMP et « conservation de
gamètes et d'embryons » (articles 19-22)
La « conservation de l'embryon » ne peut pas devenir une
technique d'AMP. Elle est une conséquence non éthique d'un savoir-faire non
achevé en matière d'AMP. Elle interroge sur la légalisation de cette «
transgression première » qu'est la
congélation d'êtres humains.
La méthode de congélation des ovocytes par vitrification appelle une
vérification sérieuse et un encadrement strict. Elle pourrait être envisagée si
elle permet de mettre fin à la congélation des embryons. Le projet de loi
envisage que les couples pacsés soient dispensés de deux années de vie commune
avant leur accès à l'AMP. Cela n'est pas justifié et est préjudiciable à
l'intérêt de l'enfant qui a besoin de stabilité. Le Conseil constitutionnel a
rappelé que le pacs n'est pas équivalent au mariage.
En particulier, il n'offre pas de garantie de stabilité équivalente à celle
exprimée dans l'engagement qui caractérise le mariage.
Alliance d'un homme et d'une femme dans les conditions
prévues par la loiRecherche sur l'embryon humain (articles 23-24)
Il est regrettable que soit supprimée « l'étude » ne portant pas
atteinte à l'intégrité de l'embryon humain. Cette idée exprime que soin et
recherche s'appellent l'un l'autre, sans que la recherche conduise
automatiquement à sa destruction.
Il est heureux, en cohérence avec notre corpus juridique, que soit maintenu le
principe d'interdiction de recherche sur les embryons humains. Les protéger de
toute réification et de toute instrumentalisation est le devoir de la loi.
Cependant, les nouvelles conditions de dérogation, en vidant le principe de sa
valeur, changent gravement l'esprit de la loi.
Une information objective sur les résultats scientifiques et sur les thérapies
obtenues permettrait un débat parlementaire de qualité. Il faudrait prendre en
considération les progrès scientifiques sur les cellules souches adultes et les
résultats que des recherches sur les embryons d'animaux pourraient apporter.
Une réflexion cohérente sur les valeurs fondamentales mises en jeu par des
choix particuliers donnerait tout son sens à la valeur éthique que
l'interdiction de la recherche sur l'embryon humain promeut pour l'avenir de la
société : la protection du plus vulnérable est un bien pour la société, et son
devoir.
Les Évêques catholiques de France
Jeudi 2 décembre 2010