• La Bible est
en fait une bibliothèque. Il faut donc fournir des repères pour s'y retrouver:
quels sont les livres de cette bibliothèque, à quelles époques ils ont été
rédigés, dans quelle langue, etc. Il faut aussi mettre des « étiquettes »
pour préciser le genre littéraire de tel ou tel livre: légende, mythe, histoire
populaire, méditation, poème, prière, etc. On ne lit pas les « histoires » de
la Genèse comme on lit l'histoire de David: ce n'est pas le même genre d'écrit.
• La Bible
est, pour les juifs et les chrétiens, un livre sacré; ce livre a, pour un
croyant, une double origine: il est à la fois divin et humain, d'inspiration
divine et de rédaction humaine.
• La Bible est
un livre ancien, il demande effort pour être compris car il reflète souvent des
façons de penser et de parler qui ne sont plus les nôtres. IL y a donc
nécessité de déchiffrer le langage biblique comme une langue quelque peu
étrangère. Et parce que nous, modernes, sommes différents des gens de la Bible,
il y a nécessité d'interpréter, de transposer les messages bibliques dans
notre mentalité moderne.
Cette bibliothèque comporte
deux rayons
‑ Ce que les chrétiens appellent l'Ancien Testament (c'est- à ‑dire
l'Ancienne ‑ ou Première ‑ Alliance entre Dieu et les hommes): tout
ce qui a été écrit avant Jésus Christ. Les juifs appellent cet ensemble:
« la Loi, les Prophètes et les Écrits » . C'est la Bible juive.
‑ Le Nouveau
Testament (la Nouvelle Alliance). Cette partie comprend les évangiles et
les écrits des apôtres et des premiers témoins chrétiens.
Les langues de
la Bible sont pour l'Ancien Testament: l'hébreu, l'araméen et le grec. Pour
le Nouveau Testament, c'est uniquement le grec.
Les livres bibliques sont très divers car ils ont
été rédigés depuis le Xe siècle avant le
Christ jusqu'au IIe siècle après le
Christ. Imaginons un recueil de littérature française allant de la Chanson de Roland jusqu'aux auteurs
contemporains!
De plus, les livres bibliques sont de genres très
variés: on y trouve des contes, des récits, des discours, des recueils de lois,
des sermons, des proverbes, des visions, etc. C'est vraiment une bibliothèque.
Et pourtant on dit: la Bible parce que, pour les croyants, cet immense
orchestre est animé par un seul Musicien: l'Esprit de Dieu.
1. Le Pentateuque (les cinq livres) ou la Torah (la loi de Dieu)
• Genèse (l'Origine) se subdivise en
deux parties a) Chapitres 1 à 11: sous
forme d'histoires symboliques, c'est une suite de réflexions imagées sur les
« origines »du monde, de l'homme et de la femme, du mal, de la mort, etc.
Le monde a été créé par Dieu et pour l'homme, mais l'homme peut refuser de
collaborer avec Dieu. Cependant la folie de l'orgueil (Babel), la jalousie
meurtrière (Caïn), le débordement de la violence (le Déluge)... tout cela
n'empêche pas la vie, venue de Dieu, de se répandre sur la terre. b) Chapitres 12 à 50: ces chapitres
évoquent les lointaines « origines » du peuple hébreu (juif) à travers les
récits sur Abraham, Isaac, Jacob (ils auraient vécu entre 1700 et 1300 avant le
Christ). Déjà Dieu, le Fidèle, était avec eux.
• Exode (la Sortie): ce livre est
dominé par la grandiose figure de Moïse, fondateur historique du peuple hébreu
(vers 1200 avant le Christ). Mais le vrai créateur est Dieu (Ésaïe 43, 1) c'est
Lui qui arrache son peuple à l'esclavage de l'Égypte pour le faire naître à la
liberté.
• Le Lévitique
et les Nombres: par ces deux livres de lois Israël exprime bien, dans sa vie, sa
vocation de peuple « à part » , porteur de la Parole de Dieu pour les nations.
• Le
Deutéronome: immense
discours attribué à Moïse mais écrit en fait vers le VIIe siècle avant le
Christ, à l'époque des grands prophètes. Israël, toujours tenté d'être « comme
tout le monde », à la remorque des autres, est appelé de nouveau à être ce
qu'il doit être: un peuple de croyants, fidèles à Dieu et à sa Loi.
2. Les Prophètes
Les prophètes ne prédisent pas forcément l'avenir.
Ils sont d'abord les « porte‑parole » de Dieu, à des époques bien
diverses: depuis le VIIIe siècle jusqu'au IIe siècle avant le Christ. Leurs
prophéties ont des accents divers: indignation contre l'injustice ou
l'idolâtrie, menaces (beaucoup de menaces !), consolation dans l'épreuve,
encouragement, promesse d'un monde nouveau.
Inlassablement, les prophètes rappellent à Israël
qu'il est le peuple de la foi nue, sans images, et le peuple du respect de
l'autre, surtout vis‑à‑vis des plus faibles. Il est, il doit être
le peuple qui écoute la Parole de l'Éternel et lui répond par le souci de la
justice.
Le sommet de la prédication prophétique se trouve
peut-être dans les chapitres 40 à 66 du livre d'Ésaïe (écrits après l'exil à Babylone): la puissance de Dieu se
fait tendresse pour l'homme apeuré; le peuple juif humilié apprend à redresser
la tête, à porter son regard jusqu'aux extrémités de la terre, à croire à un
avenir lumineux.
Un livre « prophétique » est à part: Jonas, conte
humoristique sur un prophète râleur et raciste, aux prises avec la Parole de
Dieu qui, elle, ne connaît pas les frontières.
3. Les autres écrits
• Les huit (ou
douze) premiers livres parlent de l'histoire du peuple
hébreu depuis son installation en Canaan (en Palestine), au XIe
siècle avant le
Christ, jusqu'à son retour sur sa terre au vie siècle, après l'exil à
Babylone (les deux livres des Maccabées racontent la lutte héroïque des juifs
pour rester fidèles à leur foi au IIe siècle avant le Christ).
Grandeur et décadence, union et séparation, conquête
et déportation... une longue suite de fêtes et de désastres d'où émergent les
figures de Josué le chef, de Samuel le Voyant, de David le roi bien‑aimé,
de Salomon le Magnifique, d'Élie le prophète de feu, etc.
Ce ne sont pas des livres d'histoire au sens moderne
du mot. C'est une histoire religieuse qui parle de l'union mouvementée
(l'Alliance) entre Dieu et ce peuple‑là: bonheur, indifférence, oubli,
rupture, réconciliation, fidélité et infidélité sans cesse croisées. Mais Dieu
ne revient pas sur ses engagements: à travers paix et épreuves, il éduque peu à
peu ce petit peuple à être le témoin, presque malgré lui, d'une espérance
inouïe: « Dieu, l'Unique, l'Éternel, inscrit son nom, sa présence et sa
Parole dans l'histoire des hommes. La gloire de Dieu, c'est la réussite de
cette histoire. »
• Les bibles catholiques rattachent à cette suite quatre petits livres: la belle histoire
de Ruth, l'étrangère devenue la grand
mère de David; le pieux conte de Tobie (« épreuves
et récompenses du juste »); la flamboyante légende de Judith (« comment une belle femme croyante peut faire perdre la
tête à un tyran ») ; l'aventure pleine de rebondissements de la reine Esther (elle sauve du massacre ses
frères juifs). Une conviction parcourt ces quatre livres: « La foi triomphe de
tout. »
4. Les livres de sagesse
• L'extraordinaire livre de Job où un désespéré crie
à Dieu lui‑même la grande question: « Pourquoi tout ce malheur? »
• L'inépuisable livre des Psaumes où l'on trouve toutes les couleurs de la prière: adoration,
acclamation, confiance, plainte, supplication, révolte...
• Le livre des Proverbes
où la spiritualité la plus haute côtoie l'expérience la plus terre à terre.
• L’étrange livre de l'Ecclésiaste où un homme, revenu de tout, apparemment blasé, se
montre pourtant un croyant attaché à la vie.
• Le Cantique
des Cantiques, poème, brûlant et tendre, est peut‑être le plus beau
chant d'amour du monde.
• Les livres de 1a Sagesse et de l'Ecclésiastique,
longues médiations, très marquées par la culture grecque. La Parole de Dieu
se dit là dans un nouveau langage.
1. D'abord l'Évangile,
l'unique Bonne Nouvelle de Jésus le Christ, mais à quatre voix, selon Matthieu, Marc, Luc et Jean.
Il y a eu sans doute, au point de départ, un recueil
des paroles de Jésus. Il y a eu les souvenirs des disciples de la première
heure. Sur ces bases, les quatre évangélistes composèrent quatre récits qui
sont quatre professions de foi en Jésus qu'ils appellent le Christ, l'Envoyé de
Dieu. Tous les noms qu'ils lui donnent disent cette foi: « Sauveur » des hommes
par sa mort et sa résurrection, « Berger » toujours présent, « Maître » de la
sagesse divine, « Fils de Dieu », Verbe de Dieu fait homme, «Seigneur »
divin...
2. À la suite, les
Actes des Apôtres de Luc: c'est la continuation de l'Évangile, la
merveilleuse floraison des Églises du Christ d'un bout à l'autre de l'empire
romain, avec les deux grandes figures de l'Église primitive: Pierre et Paul.
3. Ensuite les
21 lettres (épîtres) des apôtres
Elles sont adressées à des Églises ou à des
responsables d'Églises pour rappeler, détailler, appliquer, amplifier,
prolonger l'enseignement de Jésus, en fonction des problèmes, cas de
conscience, questions... posés par la vie des Églises. Vingt et une lettres ‑
surtout celles de Paul ‑ pour saluer la naissance d'un Homme nouveau, le
Christ ressuscité, et pour servir le peuple de la Nouvelle Alliance, l'Église
chrétienne, reflet multiple de l'Unique Lumière.
4. Enfin le dernier livre, l'Apocalypse (« la
Révélation »), suite de visions pour réconforter une Église persécutée. Ce
n'est pas un livre sur la fin du monde, c'est un écrit qui « soulève le voile »
opaque du présent: la foi paraît écrasée, c'est elle qui aura raison de la
Bête, symbole d'un pouvoir qui se croit absolu, mais qui s'écroulera. Le Maître
de l'histoire est Dieu par son Christ.
Certaines traditions religieuses pensent que leurs livres sacrés sont des textes dictés par Dieu lui‑même. Les hommes qui les ont écrits auraient recopié fidèlement les mots «tombés du Ciel », qui seraient donc la Parole de Dieu, immuable et intangible, à recevoir telle quelle. Ainsi pense l'islam à propos du Coran. Ce n'est pas la façon de voir du christianisme, surtout à l'époque moderne. Pour la tradition chrétienne, Dieu a inspiré la Bible. On pourrait dire qu'Il y a mis « du souffle », son Souffle, son Esprit, afin qu'à la lecture ou à l'audition de ce livre, ce Souffle, cet Esprit divin passe dans nos vies.
Les chrétiens croient que la Parole de Dieu, au sens
le plus fort du terme, c'est Jésus le Christ, homme véritable et Fils de Dieu
véritable. C'est le mystère de l'Incarnation: Dieu se dit dans un homme. Or, il
y a quelque chose de ce mystère de l'Incarnation dans la Bible: Dieu dit son
message en épousant, au long des siècles, les manières de parler de l'humanité.
Ainsi, d'après la tradition chrétienne, la Bible est Parole de Dieu à travers
des paroles d'hommes. Le Dieu de la Bible ne se fait pas voir: les visions sont
rares dans le Livre et ne disent rien sur Dieu. Mais Dieu parle sur tous les
tons de la parole humaine.
En résumé, la Bible est un livre divin et c'est un livre humain. Mais aucune
concurrence entre Dieu et l'homme
Dieu donne un souffle divin à une parole humaine. Et
c'est en faisant l'effort de comprendre cette parole humaine ancienne que nous
recevrons aussi, par la foi, le souffle divin qui anime ces mots.
Il faut admettre que le lecteur
moderne est souvent devant la Bible comme devant un film tourné en une langue
étrangère qu'il comprend mal. Pour rester dans le courant de l'intrigue, il doit, de temps en temps, jeter un coup d'oeil aux sous‑titres
rédigés dans sa langue maternelle.
C'est pourquoi les notes des diverses bibles, en bas
de page, sont si utiles. Elles aident, par exemple, à ne pas comprendre les
mots de travers (la « crainte de Dieu » n'est pas la peur de Dieu). Elles
aident le lecteur à se mettre dans l'intention de celui qui a écrit telle page
(par exemple, l'intention de Jean quand il a écrit l'Apocalypse pour
réconforter les chrétiens persécutés).
Le croyant qui ouvre la Bible n'ouvre pas un vieux
grimoire: le message qu'il y cherche est toujours neuf, toujours actuel. Mais
il est en même temps bien obligé de constater que la façon de parler de la
Bible fait souvent « ancien ». Ce n'est plus ainsi que nous pensons et parlons
aujourd'hui. Prenons quelques exemples de ce décalage entre les expressions
bibliques et notre mentalité moderne
a) Quand il se trouve devant un phénomène comme
l'arc-en‑ciel, l'homme moderne en cherche immédiatement l'explication
rationnelle: décomposition de la lumière... Le tonnerre s'explique par des
décharges électriques, les tremblements de terre par les mouvements des plaques
terrestres, l'épilepsie par un dérèglement nerveux, etc. Bien entendu, l'homme
moderne peut aussi être poète et religieux devant ces phénomènes, mais sa
première réaction est généralement d'essayer de comprendre avec sa raison.
Les gens de la Bible, eux, pensent d'abord pour ces phénomènes à des
explications d'un autre ordre: l'épilepsie est une possession diabolique (Marc
9, 14‑29) ; le tonnerre, la voix de Dieu (Psaume 29) ; la pluie, un don
du ciel obtenu par la prière (Jacques 5, 17‑18)... Dans la Bible, la main
de Dieu est partout, pour bénir ou pour châtier.
Nous réagissons de manière très différente: nous
croyons en l'action de Dieu, mais nous ne la saisissons pas de manière
immédiate. Souvent nous nous contentons de dire: «C'est ainsi! » Est-ce la
volonté de Dieu? Y a‑t‑il là un message de Dieu ? Nous laissons la
question sans réponse. C'est là une très grande divergence entre l'esprit
moderne et les façons de parler de la Bible.
b) Pour nous, modernes, l'univers paraît sans limite
et notre terre y semble perdue. Les gens de la Bible, eux, se représentaient un
monde limité à trois étages: le ciel pour Dieu et ses anges, la terre pour les
hommes, le séjour d'en bas (sous la terre pour les morts. Notre foi de
chrétiens modernes va donc reprendre autrement des expressions comme «descendu
aux enfers» ou «monté au ciel». Nous y voyons des expressions symboliques,
imagées, signifiant que Jésus, après avoir vécu une vie d'homme sur terre, a vraiment
connu la mort et qu'il est entré dans une vie nouvelle avec Dieu.
c) Notre esprit moderne est marqué par la théorie de
l'évolution depuis la toute première explosion d'énergie jusqu'à l'apparition
de l'homme sur la planète Terre. On ne trouve évidemment rien de semblable
dans la Bible qui ignore toutes ces recherches scientifiques. Le premier
chapitre de la Genèse est un poème religieux qui dit une foi: Dieu est le
Créateur. D'autre part, si les chapitres 4 et 5 de la Genèse nous parlent
d'Adam et d'Ève, père et mère de toute l'humanité, nous, chrétiens modernes,
nous n'irons pas chercher là des renseignements sur les origines préhistoriques
de l'humanité. Pour cela, nous étudierons les théories scientifiques qui
essayent de décrire, à partir des fouilles et autres découvertes, ce que purent
être les débuts de notre race.
La Bible n'est pas un livre de science. Elle dit le
projet de Dieu sur l'humanité et ce projet commence dès « Adam et Eve », dès le
début.
d) Après une longue évolution sociale, nous,
Occidentaux modernes, tenons maintenant (au moins en paroles...) à l'égalité
entre hommes et femmes. Cette réaction, typiquement moderne, n'existe pas
partout dans la Bible: « Pendant l’instruction
[à l'église] la femme doit garder le silence, en toute soumission. Je ne
permets pas à la femme d'enseigner ni de dominer l'homme. Qu'elle se tienne
donc en silence »(1 Timothée 2, 11‑12). Pourtant saint Paul, qui
tient ces propos, croit à l'égalité profonde de tous les êtres humains dans le
Christ (voir Galates 3, 26‑28). Mais cela ne passe pas facilement dans
les moeurs, même dans l'Église primitive.
Nous, chrétiens d'un autre temps, nous gardons son enseignement d'égalité et oublions ses réactions de l'ancien temps.
On voit donc
qu’il y a un réel décalage entre la
mentalité biblique et notre mentalité moderne, mais ce décalage n’empêche pas
de recevoir le message de la Bible dans toute sa fraîcheur. Il y a certes un
effort de compréhension et de ré-expression à faire. Mais cet effort fait, le
message biblique devient accessible comme une source qui coule toujours pour
celui qui a soif.
« L’herbe sèche, la fleur se fane,
mais
la parole de notre Dieu subsistera toujours. » Isaïe
40,8
Extrait de Dire la foi des chrétiens Bayard Editions/centurion - Paris 1995